France

Nord : « Avec un fichier centralisé, peut-être que ces actes de barbarie sur un enfant auraient pu être évités »

Le suivi des familles soupçonnées de maltraitance est-il efficace ? Certains avocats ont mis le sujet sur la table lors du procès pour actes de barbarie sur un enfant de deux ans et demi, lequel vient de se terminer aux assises du Nord. Six personnes ont été condamnées à des peines entre 4 et 20 ans de prison. Or, dans ce dossier, les deux familles coupables de violence étaient connues des services sociaux.

« Des faisceaux d’alerte auraient dû davantage mobiliser les services de police et sociaux sur les dangers qui pesaient sur Joris*, aussi bien dans la cellule familiale que dans l’entourage proche », regrette Me Laurence Micallef-Napoly, avocate de l’Enfant bleu, une association de protection de l’enfance qui s’était portée partie civile.

Délais de transmission de signalements trop longs

Cette dernière a, d’ailleurs, plaidé pour la mise en place « d’un fichier national centralisé et facile d’accès concernant pour les informations préoccupantes et les signalements de familles ». « Avec ce fichier, dit-elle, on aurait, peut-être, pu éviter le drame. » L’avocate ne manque pas de rappeler que, dans cette affaire, « les délais de transmission de signalements ont été trop longs ».

Retour en arrière. Début décembre 2018, quelques jours avant que l’enfant ne soit conduit à l’hôpital entre la vie et la mort à cause de sévices, le lien avait été établi entre les deux familles maltraitantes par les services de protection de l’enfance du Nord. La mère de Joris* avait, en effet, confié son fils à un couple d’amis.

« Les enseignants, qui avaient repéré des signes de violence le mois précédent, ont été très réactifs dès que le petit Joris* n’a plus été scolarisé, raconte l’avocate. Son frère a expliqué qu’il était chez tata Coco. » Tata Coco, c’est Coraline R., condamnée, vendredi, à 15 ans de réclusion criminelle. Avec son mari Sébastien B., condamné à 20 ans, ils sont identifiés par des signalements dans le Nord depuis 2010, mais aussi dans le Lot-et-Garonne, où ils ont séjourné plus de deux ans. Leurs filles sont déjà victimes de maltraitance.

Convoqués dans le Lot-et-Garonne

Le temps d’effectuer les recoupements, les services de la Protection maternelle et infantile (PMI) convoquent le couple qui héberge Joris* le 18 décembre. Le lendemain, tous deux sont interpellés par la police pour s’être acharnés sur l’enfant lors de deux soirées alcoolisées.

Mais ce n’est pas tout. « Deux mois plus tôt, le 9 octobre, ils ont également reçu une convocation de la PMI du Lot-et-Garonne, en vue de la mise en place d’une mesure éducative. Ils prennent la poudre d’escampette à ce moment-là pour revenir dans le Nord », précise Me Micallef-Napoly.

S’apercevant du déménagement du couple dans le Nord, les services sociaux du sud-ouest rédigent une note pour leurs collègues nordistes concernant une « fratrie en danger ». Nous sommes le 29 novembre. La note ne sera transmise que le 7 janvier. Trop tard. De retour dans le Nord, Sébastien B. et Coraline R. se voient confier la garde permanente de Joris* par sa mère qui trouve son enfant trop turbulent. La suite, on la connaît.

« Pour échapper au suivi, les familles déménagent »

Dans sa plaidoirie, Me Micallef-Napoly a réclamé la mise en place d’un fichier national pour faciliter le travail de l’aide social à l’enfance. Car aujourd’hui, le suivi est géré au niveau départemental. « Pour échapper au suivi, les familles déménagent et quittent le département. Je suis de plus en plus confrontée à ce genre de manœuvres lors de procès », note l’avocate.

Avocate de La Voix de l’Enfant, Me Diane Massenet, dresse le même constat : « Les parents disparaissent dès que les services sociaux s’intéressent de trop près à leur cas. » Et d’évoquer un autre dysfonctionnement, cette fois judiciaire. Concernant la mère de Joris* (condamnée à 4 ans), une information préoccupante à son encontre avait été transmise en juin 2017 au procureur. « Or, la brigade des mineurs n’a été saisie de l’enquête qu’en janvier 2019 », déplore-t-elle. Là encore, c’était trop tard.