Noël 2024 : Est-il socialement acceptable de mettre un jouet d’occasion sous le sapin ?
«Des jouets par milliers » dans la hotte du Père Noël qui finiront à la poubelle ! Les jouets représentent chaque année quelque « 120.000 tonnes de déchets, soit l’équivalent de 12 tours Eiffel », selon une étude de l’Ademe sur la filière des jouets. Sept jouets sur dix ne seront utilisés que pendant à peine huit mois, précise cette étude. La solution face à cet immense gâchis ? Oser mettre des jouets d’occasion sous le sapin. Un choix salvateur pour le porte-monnaie et la planète qui n’est pas encore complètement entré dans les mœurs des Français. Explications.
Les cadeaux d’occasion en progression
Selon les chiffres du panéliste Circana, les ventes de jeux et jouets d’occasion se sont élevées à 270 millions d’euros en France en 2023, soit une hausse de 26 % par rapport à l’année précédente. La seconde main représente près de 6 % du chiffre d’affaires du secteur.
Qu’en est-il à Noël ? « Le jouet de seconde main est l’un des produits les plus dynamiques sur notre site à Noël. On en vend beaucoup plus que le reste de l’année », constate Maud Sarda, fondatrice de Label Emmaüs, boutique en ligne solidaire et engagée. « 70 % de notre activité est condensée sur la fin d’année », observe Marjorie Grégoire, responsable de Rejouons Solidaire, réseau de l’économie circulaire et solidaire des jeux et jouets.
« Je n’achète quasiment que de l’occasion depuis la naissance de mon fils qui a d’aujourd’hui un an et demi. Noël ne fera pas exception cette année ! », témoigne Angélique, une lectrice de 20 Minutes. « La moitié des cadeaux sous le sapin sera d’occasion, et c’est très gratifiant, mine de rien », se félicite Nelly, maman de deux enfants âgés de 9 et 13 ans.
Une progression « faible »
Comme ces deux lectrices, 25 % des Français envisagent d’offrir des cadeaux d’occasion ce Noël, contre 20 % en 2023, selon un sondage de Greenweez, leader de l’e-commerce bio et écoresponsable. Une progression « faible » au regard de « l’évolution de la crise environnementale », déplore Romain Roy, fondateur de Greenweez.
Deux Français sur trois envisagent d’offrir des cadeaux d’occasion ou reconditionnés pour les fêtes, selon une étude OnePoll pour Amazon : « Deux Français sur trois déclarent qu’ils sont prêts à offrir de la seconde main ce Noël, mais en réalité on ne constate pas une augmentation des ventes de jouets » d’occasion, tempère Maud Sarda.
Un marché tout de même prometteur, puisque plusieurs magasins spécialisés lancent leur service de reprise et revente de jouets de seconde main : King Jouet avec King Okaz, JouéClub avec TrocOJoué. Même Amazon, leader de l’e-commerce, s’y met avec Amazon Second Chance, une sélection d’articles d’occasion, retournés ou reconditionnés à prix compétitifs.
« « Toutes les initiatives qui vont dans le sens de la seconde main sont à encourager. Cela part d’une bonne intention et il faut le saluer. A terme, il faudra évaluer le vrai impact. Mais aujourd’hui, on est tellement à la traîne sur la prise de conscience, que tout ce qui peut rappeler qu’on peut acheter de seconde main et que c’est très bien est bon à prendre. » »
Sur l’occasion, l’argument qui prime est économique
« Toutes les enquêtes montrent que sur la seconde main, l’argument qui prime est économique, le 2ᵉ est l’écologie et en 3ᵉ arrive la solidarité », note Maud Sarda. Le prix d’un jouet ce Noël est de 17,67 euros en moyenne, selon le cabinet Circana. « Quand un smartphone neuf coûte 1.200 euros, le trouver d’occasion à 700 euros, cela constitue une vraie économie. La téléphonie de seconde main marche parce que cela coûte vraiment moins cher. Le gain économique pour un jouet d’occasion, perçu comme moins bien que le neuf, est beaucoup plus faible », analyse Romain Roy.
« Si j’étais réellement dans l’extrême besoin, alors, j’achèterais des jouets de seconde main pour permettre à mes enfants d’avoir un semblant de Noël. Par contre, si c’est pour se la jouer radine et faire des économies alors que j’en ai les moyens, non ! », témoigne Myriam.
Pas de « prise de conscience » écologique massive
La preuve qu’« il n’y a pas encore de prise de conscience massive sur la dimension écologique de l’acte », regrette-t-il. Et plus encore en période de crise économique : « Il y a eu une explosion de la seconde main en général au moment du Covid parce qu’il y avait vraiment une quête de sens, mais cela s’est essoufflé après », constate Maud Sarda.
Malgré une progression de 7 points depuis 2021, l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat incitent 62 % des Français à mettre de côté leurs engagements écoresponsables pendant les fêtes, soit une hausse d’un point par rapport à 2023, selon le sondage de Greenweez.
La « rude concurrence » des sites low-cost chinois
Les acteurs historiques de l’économie durable et solidaire se retrouvent en « rude concurrence » avec « les mastodontes de la seconde main comme Vinted ou ceux du low-cost comme Temu ou Shein », pointe Maud Sarda. « L’e-commerce chinois est en train de tuer l’e-commerce français. On peut y acheter pour des sommes dérisoires tout et n’importe quoi, y compris des jouets qui ne respectent pas les normes européennes ! En période de crise, les gens sont tentés de faire cela », abonde Romain Roy.
95 % des jouets vendus sur la plateforme chinoise Temu sont dangereux pour la santé des enfants, a pourtant alerté un rapport de la Fédération française des industries du jouet en février dernier, pointant des risques de « coupures, de blocages des voies respiratoires, d’étouffements, de strangulations, de perforations et des dangers chimiques ».
La « mauvaise image » des jouets d’occasion
Les freins à l’achat de jouets d’occasion sont encore légion. « Les gens ont encore peur que cela donne une mauvaise image d’offrir quelque chose de seconde main », observe Romain Roy. « Il n’est pas toujours facile de faire comprendre que l’on offre un cadeau de seconde main. Je m’y suis un peu cassé les dents. Les gens autour de moi ont vraiment du mal », confirme Elodie. Chez Sophie, adepte des jouets de seconde main, « les grands-parents ont dû s’y faire, même si eux privilégient encore le neuf. »
Parmi les idées reçues les plus répandues, « celle que le jouet ne sera pas forcément propre et peut-être dangereux », résume Marjorie Grégoire. « Les associations qui intègrent notre réseau répondent toutes à une charte de qualité, reconnue par l’éco-organisme Ecomaison, par l’agence environnementale Ademe et les collectivités dans le cadre de marchés publics. Cette charte qualité répond aux exigences du marché du jouet, mais aussi aux exigences du marché des professionnelles de l’enfance et de la petite enfance », explique-t-elle.
Et d’ajouter : « Oser offrir un jouet d’occasion chez nous, c’est aussi oser sortir quelqu’un de la précarité. C’est là où la personne qui offre un jouet d’occasion doit être très fière de son cadeau. Au-delà du jouet, elle va pouvoir raconter toute une histoire », se félicite Marjorie Grégoire.
Des jouets d’occasion parfaitement reconditionnés
Le réseau Rejouons Solidaire récolte chaque semaine des centaines de jouets en provenance de dons de familles, de distributeurs, d’entreprises ou encore d’associations. De véritables ateliers du Père Noël où chacun s’attelle aux multiples étapes de la revalorisation. Les jouets retrouvent ici une nouvelle jeunesse. Ils sont triés, recomposés, rénovés, nettoyés avec des produits écologiques et écolabellisés.
A la fin du parcours, les jouets sont réétiquetés comme un jouet neuf. « Nos boutiques ressemblent à des boutiques de jouets traditionnelles. L’idée est que le consommateur rentre en se disant qu’il n’a pas du tout l’impression d’être dans une recyclerie spécialisée », explique Marjorie Grégoire.
Même minutie chez Label Emmaüs : « Cela demande beaucoup de temps de mettre un produit en ligne sur le Label Emmaus. On met des produits triés sur le volet. Le produit a été nettoyé, réparé et valorisé. Et nous sommes encore plus exigeants en matière de jouets : toutes les pièces des puzzles ou des jeux de société sont comptées, c’est un travail colossal », détaille Maud Sarda.
Les enfants ne font pas la différence
« On a testé les jouets d’occasion sur les enfants. Ils ne voient pas la différence entre les jouets d’occasion et les neufs. La réticence vient de l’adulte », s’amuse Marjorie Grégoire.
Même son de cloche chez Nelly qui a offert un petit flipper électronique « déniché sur Le Bon Coin » à un de ses enfants : « Il m’a dit qu’il n’avait même pas remarqué que ce n’était pas neuf. Ça m’a confortée dans l’idée qu’un jouet, neuf ou de seconde main, restait un jouet ! » Et encore mieux qu’un jouet, un jouet déjà aimé !