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Nice : Viande, cannabis, téléphones… Des colis lancés « tous les jours » au-dessus des murs de la prison

Cette nuit-là, en moins de quatorze secondes, au moins trois paquets lancés depuis le parking de la résidence Le Lyautey atterriront bien de l’autre côté. Dans la cour de la maison d’arrêt de Nice après être passés au-dessus d’un mur de six mètres de haut. Les « lanceurs de colis », qui fournissent illégalement les détenus en denrées alimentaires, mais aussi en drogue, ont été filmés à l’œuvre par des riverains de la rue Justin-Montolivo. Et la séquence a été diffusée par Nice-Matin en début de semaine.

Le phénomène n’est pas nouveau. Il est bien installé. Très organisée. « Il est quotidien », affirme même une source interne à l’établissement pénitentiaire. Et ce, malgré les parades mises en place du côté de la prison mais aussi des copropriétés attenantes.

Maurice* est un ancien gardien de la résidence Le Lyautey. Il y habite depuis le début des années 1990. Et, ces lanceurs de colis, il les « voit depuis toujours ». « Ça va, ça vient. Malgré les clôtures qu’on a fait installer, les portails, ils arrivent toujours à se faufiler. Parfois, ils montent sur les voitures et provoquent des dégradations, explique à 20 Minutes celui qui a travaillé pour la copropriété entre 2000 et 2016. Je suis physionomiste et je reconnais les gens qui ne font pas partie de la résidence. Et il y a des moments où il y en a plus que d’habitude. Par exemple, quand il y a des fêtes religieuses ou alors les soirs de matchs de foot. »

« Dans 95 % de cas, ça se passe en pleine nuit »

Selon Nordine, un surveillant de la prison, secrétaire du syndicat Ufap-Unsa Justice Nice, les envois de paquet, il y en aurait en fait « tous les jours » et pour « tous types de prisonniers ». « Quelquefois, on arrive à les récupérer avant eux. Mais dans 95 % de cas, on ne voit rien, ça se passe en pleine nuit », explique-t-il.

La pratique est donc bien rodée, parfaitement organisée. Mais il ne s’agirait pas d’une spécialité de Nice, où la maison d’arrêt, de 360 places, compte actuellement 520 détenus (soit 144 % d’occupation). Interrogée par Nice-Matin, une représentante de la direction régionale de l’administration pénitentiaire à Marseille reconnaît que « l’ensemble des établissements de Provence Côte d’Azur sont confrontés à ce phénomène ».

Pour que la livraison arrive à bon port, tout est une question de tempo. Les expéditeurs attendant le feu vert des destinataires par téléphone pour projeter leurs paquets de toute leur force. Parmi les quatre personnes visibles sur la vidéo publiée par Nice-Matin, on peut d’ailleurs distinguer une silhouette tenant un écran allumé dans sa main. Les locataires de la prison utilisent les fixes qui ont été installés dans leur cellule ou les portables envoyés dans de précédents paquets. « Et il leur faut trois minutes pour caler tout ça. Ça va très vite. Même si des riverains appellent les forces de l’ordre, à leur arrivée, le plus souvent, les lanceurs sont déjà partis », explique Philippe Hiller, propriétaire d’un appartement dans la résidence et président de l’association La clé des champs, qui milite pour que la prison déménage en dehors du centre-ville. Des interpellations ont déjà eu lieu et des condamnations ont été prononcées. Mais la plupart du temps, ces opérations clandestines se déroulent effectivement sans accroc.

En journée, les colis sont récupérés directement pendant les promenades. La nuit, la technique est bien rodée. Les colis, entourés par des filets à grosses mailles, souvent des emballages de pommes de terre, sont « pêchés » à travers les barreaux des cellules avec des cannes de fortune. « Ils utilisent des fourchettes repliées pour créer une sorte d’hameçon, au bout d’un drap, et le tout est lesté, décrit encore Nordine. Beaucoup de choses ont pourtant été faites : des caillebotis ont été placés aux fenêtres, des grillages ont été installés au-delà des murs intérieurs. L’administration essaie tout ce qu’elle peut. Mais ils trouvent toujours des parades. »

Même un aquarium avec des poissons vivants 

Mais alors que trouve-t-on dans ces colis, envoyés malgré le risque d’une condamnation ? « Un peu de tout, répond le représentant syndical. Certains paquets comportent des bonbons Haribo, d’autres de la viande hallal. Il y a beaucoup de denrées alimentaires. Mais aussi des téléphones portables et du cannabis. Le shit, c’est récurrent. Presque tout le temps en fait. A une époque, on retrouvait aussi beaucoup de substances interdites en lien avec la musculation. Des anabolisants et d’autres cachets. On a déjà également découvert une sorte de poudre blanche. Mais j’ignore si elle avait été analysée et si c’était, ou non, de la cocaïne. »

Autant de produits qui se retrouvent dans les cellules s’ils ne sont pas interceptés à temps. « Le problème, c’est que les détenus ne sont pas fouillés au retour des promenades », appuie de son côté Philippe Hiller.

Selon une source interne à la prison, ces envois de colis très sportifs ne seraient pas les seuls moyens pour les détenus d’obtenir ce qu’ils souhaitent de l’extérieur. Puisque des PlayStation, des barres de son et même un aquarium avec des poissons vivants sont déjà arrivés jusqu’à eux.

*Son prénom a été modifié.