France

Netflix : « The Biggest Loser » ou quand la téléréalité vire au spectacle grossophobe

Regarder dans le rétroviseur, en matière de télé, c’est souvent être confronté à ce que l’on ne veut plus voir. « The Biggest Loser » en est un parfait exemple. Ce programme de téléréalité états-unien, poule aux œufs d’or dela chaîne NBC de 2004 à 2016, soumettait des hommes et des femmes obèses, pendant plusieurs mois, à des séances sportives extrêmes et à des épreuves humiliantes (bâtir une tour de nourriture sans utiliser ses mains…).

A la fin de la saison, celui ou celle qui avait perdu le plus de kilos, s’adjugeait la victoire et les 250.000 euros à la clé sous les vivats d’une foule impressionnée par la métamorphose physique. La bienveillance limitée du concept était suggérée par le titre, « le plus gros perdant » à la fois allusion à la perte de poids et pique méprisante.

« J’avais peur que l’Amérique ne l’accepte pas »

« The Biggest Loser : Le poids du show », mini-série documentaire en trois épisodes mise en ligne le 15 août sur Netflix, retrace l’histoire de cette émission carburant au cynisme et à la discrimination décomplexée d’une autre époque, pas si lointaine de la nôtre.

Le concept a germé dans l’esprit de David Broome dans une salle de sport. Le producteur exécutif raconte y avoir vu une petite annonce : « Besoin d’aide. Aidez-moi s’il vous plaît. Personne obèse cherche entraîneur. » « Je me suis dit : « Voilà notre émission », raconte-t-il face caméra. J’avais peur que l’Amérique ne l’accepte pas. J’ignorais si les gens voulaient se retrouver face à ce miroir. »

Ses craintes ont disparu dès la diffusion du premier épisode où le public a répondu massivement présent. « The Biggest Loser » est devenu un phénomène audiovisuel. La production a reçu cinq cents candidatures pour la saison 1, un millier pour la suivante et encore davantage pour celles qui ont suivi. « On voulait des personnes en surpoids et malheureuses. On s’est rendu compte qu’elles étaient des millions », assume sans ciller JD Roth, autre producteur exécutif.

« Pour maigrir, l’important, c’est le régime. Mais c’est ennuyeux »

« Le but était de proposer une émission divertissante en prime time. Le plus important, pour maigrir, c’est le régime. Mais c’est ennuyeux en télé, affirme Bob Harper, l’un des coachs sportifs stars du show. Ce qui n’était pas ennuyeux c’était de nous voir crier dans une salle de sport. » En l’occurrence, hurler sur des candidats enjoints à repousser leurs limites, filmés vomissant ou au bord de l’évanouissement.

Régulièrement, les candidats étaient confrontés à des épreuves. Par exemple, ingérer un maximum de calories en un temps limité dans l’espoir de pouvoir retrouver sa famille quelques jours. Ou devoir résister à de la nourriture amoncelée comme dans une caverne d’Alibaba de la junk food. « Je ne veux pas dire que toutes les épreuves étaient réussies, mais la vie est remplie de tentations », se défend JD Roth.

Une candidate hospitalisée

« Ce n’est pas une situation que l’on rencontre dans la vie normale, rétorque Aubrey Gordon, autrice et podcasteuse dénonçant les préjugés sur les personnes grosses. [Ce que de telles séquences étaient censées montrer], c’est l’idée que les gens obèses ne peuvent pas résister à la nourriture. Le but, c’est de nous faire tirer des conclusions sur les participants d’après ce qu’on les voit manger à l’écran en cinq minutes. »

L’émission allait très loin. Trop loin. Au début de la saison 8, les candidats devaient valider leur participation en courant un kilomètre sur une plage. Tracey Yukich, mère de famille trentenaire a franchi la ligne d’arrivée en rampant, à bout de forces, et a passé les jours suivants à l’hôpital. Diagnostic : rhabdomyolyse, une pathologie affectant le tissu musculaire squelettique. Elle a fini par réintégrer le jeu bien que le docteur Robert Huizenga ait tenté de l’en dissuader.

Regrets

Ce dernier, médecin de « The Biggest Loser », déclare qu’il y avait plusieurs aspects du programme avec lesquels il était en désaccord. « Les épreuves physiques pouvaient mettre les candidats en danger. Certaines avaient lieu sans que je le sache », assure-t-il, reprochant aux coachs d’inciter les participants à ne pas suivre ses recommandations en matière de nutrition.

Le documentaire recueille les témoignages de plusieurs candidats. Certains sont reconnaissants envers l’émission. Mais la plupart racontent les répercussions de l’émission sur leurs vies et leur estime de soi. « L’idée était extraordinaire. Ils auraient pu modifier le concept pour aider des millions de gens, avance ainsi Joelle Gwynn. Je ne sais pas si la production a compris que dans l’histoire de la perte de poids, il y a le bon et le mauvais, les difficultés et les échecs. L’important, ce n’est pas la rapidité mais la persévérance. »

Nos articles sur Netflix

JD Roth dit « regretter certaines épreuves et tentations ». David Broome, lui, confie que si l’émission était à refaire, il supprimerait le gain financier : « Sauver sa vie, ça n’a pas de prix. » Des mots qui sonnent comme une prise de conscience et un mea culpa tardif.