Nantes : Comment le prestigieux lycée Guist’hau veille au bien-être de ses (rares) élèves décrocheurs
9h10, salle 221, lycée Gabriel Guist’hau à Nantes. En ce jeudi matin, une dizaine d’élèves silencieux se concentrent sur un exercice particulier : l’écriture d’une lettre de gratitude à la personne de leur choix. La rédaction se termine. « Vous gardez la lettre avec vous et vous en faites ce que vous voulez, c’est une décision personnelle », lance Isabelle Mahé.
Depuis le mois de novembre 2024, cette conseillère au réseau Formation qualification emploi (Foquale) anime des ateliers à des élèves en situation de décrochage scolaire. « Ce sont des jeunes qui sont parfois stressés et angoissés en classe, décrit Isabelle Mahé. Certains ne viennent plus en cours à cause de ça, ce qui les empêche de réussir leur apprentissage ». Ce groupe s’est engagé, dans une démarche volontaire, à participer à une séance de 2h tous les 15 jours. Professeurs de l’établissement, CPE et assistant d’éducation se greffent également à ces cours d’empathie.

« C’est un moment de respiration »
Dix minutes plus tard, Isabelle Mahé lance une nouvelle activité : la spirale des ressources. Un jeu de société qui rappelle le célèbre « Action ou vérité » en version plus bienveillante. Ce jeune garçon aux cheveux plongeants doit réaliser une chorégraphie en trois mouvements devant ses camarades. Après quelques secondes d’hésitations, il se lève de sa chaise et se lance dans une timide Macarena.
Regagner la confiance en soi, c’est l’un des enjeux visés par ces ateliers de bien être baptisés « feel good ». Autour de temps d’échange constructif, de jeux de société coopératif et d’activité de relaxation, ces séances visent à aider ces « décrocheurs » à mieux gérer leurs émotions, à renforcer leurs interactions avec les autres et à se sentir mieux dans sa peau.
Après une demi-heure d’activités, Abigaël, 15 ans, s’apprête à quitter la salle pour rejoindre un autre cours. « J’ai bien aimé l’histoire de la lettre, cela permet d’être honnête avec soi-même et avec la personne à qui on l’écrit. C’est un moment de respiration, un moyen d’exprimer des choses qui sont un peu enfouies en soi », admet cette élève de seconde. « On en apprend un peu plus sur soi et cela nous aide à communiquer plus facilement avec d’autres personnes », abonde Saskia, du même âge.

« Une multiplication d’élèves souffrant de phobie scolaire »
Cette démarche expérimentale est née l’an passé à l’occasion d’une réunion entre les professeurs de l’établissement et le réseau Formation qualification emploi autour d’un élève en situation de décrochage scolaire « très avancée ». Maureen Timouna, proviseure adjointe, se remémore : « On a très vite abordé la question de ces élèves décrocheurs ou potentiellement décrocheurs. Ces situations apparaissent parfois dès la seconde, ce que nous pouvons difficilement prévenir ».
Depuis le Covid, ce lycée prestigieux [98 % de réussite au Baccalauréat en 2024] qui scolarise des jeunes issus de milieux sociaux favorisés, observe une multiplication d’élèves avec des situations complexes. Ils souffrent souvent de « phobie sociale et scolaire », car soumis à une pression scolaire forte, notamment depuis la réforme du Bac et l’instauration du contrôle continu. D’où la nécessite de sensibiliser son personnel à la gestion de la fragilité de ces élèves. Depuis un an, trois professeurs se sont formés aux compétences psychosociales (CPS) afin de veiller à l’épanouissement de ses jeunes.
Cinq mois après le lancement de ce projet pilote, la proviseure adjointe et les autres membres de l’encadrement sont unanimes, ce dispositif porte déjà ses fruits. « Ce qui est positif, c’est que les élèves ont suivi de façon assidue ces ateliers, ils n’ont pas décroché. On a réussi à faire revenir en cours certains élèves », se félicite Maureen Timouna.
Isabelle Mahé, quant à elle, constate que les élèves « renfermés » du début du projet se sentent désormais plus à l’aise pour parler en groupe. « Il y a une relation de confiance qui s’est installée. Ils se confient davantage, ils s’expriment plus sur eux-mêmes, il y a une bienveillance dans le groupe », résume cette conseillère de 45 ans. Le projet qui s’achèvera par une dernière séance au bord de la mer devrait être reconduit l’année prochaine.