Naissances : « Nous manquons déjà de jeunes pour faire tourner l’économie… et ça ne va pas s’améliorer »
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, les couples français n’ont jamais fait aussi peu d’enfants. Le taux de fécondité est tombé à 1,62 bébé par femme en 2024, selon les statistiques de l’Insee publié mardi. Loin des 2,1 nécessaires pour avoir une démographie positive.
Cette crise de la natalité et ce vieillissement de la population ne sont pas sans poser de nombreux problèmes. Dans son livre Les balançoires vides (L’Observatoire), qui sort ce mercredi, l’économiste Maxime Sbaihi dresse le constat noir pour l’économie d’une population qui n’arrive plus à se renouveler. Pour 20 Minutes, il revient sur ce mur de l’âge que la France commence à se prendre.
Il y a quelques années, la France était encore présentée comme l’exemple européen d’une natalité positive. Comment expliquer que les naissances se soient si rapidement effondrées ?
On commence à peine à réaliser que les naissances reculent mais en réalité, la baisse s’est enclenchée en 2011. Depuis cette année-là, elles ont chuté de plus de 20 %. L’exception démographique française est morte et enterrée, nous sommes rattrapés par un phénomène de dénatalité dont souffrent quasiment tous les pays riches. Beaucoup de facteurs sont à l’œuvre, mais je pointerais la disparition de la croissance, la crise du logement et des modes de garde ainsi qu’un travail qui ne paie plus. Autant de facteurs qui empêchent les jeunes ménages de réaliser leurs projets familiaux.
La crise immobilière est effectivement peu évoquée. Pourtant, l’achat d’un logement précédait souvent un projet d’enfant pour les anciennes générations…
La hausse spectaculaire des prix immobiliers a fait fondre de moitié le pouvoir d’achat des jeunes générations. Dans les grandes villes, elles ont perdu une vingtaine de mètres carrés par rapport aux générations qui achetaient avant les années 2000. C’est une à deux chambres en moins pour loger des enfants !
La crise immobilière est une cassure générationnelle, en témoigne le chiffre croissant de quasi-trentenaires qui sont forcés de vivre encore en coloc ou chez leurs parents à des âges où ces derniers emménageaient dans des maisons avec jardin et enfants.
Sur le plan purement économique, quelles sont les conséquences de cette dénatalité ?
Il y a les conséquences économiques immédiates, à savoir une raréfaction de la jeunesse et donc de la main-d’œuvre. Elle provoque déjà des tensions dans de nombreux secteurs du marché du travail et fait tourner l’économie en sous-régime.
Le corollaire de la dénatalité, c’est le vieillissement accéléré de notre population qui est en train de faire rougir les comptes publics, car une population vieillissante exerce une pression sur les dépenses de retraite et de santé au détriment des autres, notamment les investissements d’avenir.
Enfin, une société vieillissante qui fait de moins en moins d’enfants voit sa culture et son horizon changer. Comment s’étonner que le « c’était mieux avant » ait remplacé le « demain sera meilleur » ? Raymond Aron parlait carrément « d’état d’esprit d’abdication ».
Médecins, profs… De nombreux métiers vont connaître dans les prochaines années une grande vague de départs à la retraite. Le nombre d’actifs faible va-t-il poser problème ?
On a longtemps dû combattre un chômage trop élevé, et vous aurez remarqué qu’il a disparu du débat public. Le problème d’aujourd’hui est celui d’une pénurie généralisée de main-d’œuvre qu’on ressent un peu partout, dans les déserts médicaux, chez les restaurateurs en recherche désespérée de cuisiniers, dans les transports en manque de conducteurs, derrière tous ces guichets fermés, dans les Ehpad et les crèches en sous-effectif quotidien. Nous manquons déjà de jeunes pour faire tourner l’économie et financer notre modèle social, et ça ne va pas s’améliorer.
La dénatalité a-t-elle aussi un mauvais impact politique ? On voit que le Japon, dont la population est la plus vieille au monde, mène des politiques très conservatrices.
Le risque, c’est d’être entraîné sur la pente glissante de la gérontocratie, dans laquelle les décideurs publics préfèrent satisfaire les intérêts d’une population plus âgée devenue inactive et majoritaire dans les urnes que d’investir dans la jeunesse et la petite enfance. Les choix collectifs en viennent à privilégier la prochaine élection au détriment de la prochaine génération.
L’exemple des retraites est frappant : elles sont devenues notre premier poste de dépense publique, leur financement asphyxie les actifs et plombe les comptes publics, mais aucun parti politique ne veut se risquer à demander des efforts aux retraités qui sont pourtant en moyenne moins pauvres que le reste de la population.
Sur les deux dernières années, les retraites ont augmenté plus vite que les salaires qui les financent ! C’est intenable économiquement, mais tristement logique électoralement.
Comment régler ce problème de la dénatalité ? Y a-t-il des solutions, ailleurs, qui ont fonctionné ?
Dans le livre, je fais un tour du monde démographique pour voir comment les pays qui sont confrontés à la menace de la dénatalité réagissent. Trois voies se dessinent : procréation, immigration, robotisation. La voie de la procréation est aussi prisée qu’ineffective, impuissante à regonfler une population active en crevaison lente de décennies passées sous le seuil de renouvellement des générations.
La voie de l’immigration est une rustine pragmatique mais hypersensible et temporaire, elle traite les symptômes économiques de la dénatalité sans la guérir.
La voie de la robotisation a un potentiel économique incontestable mais (encore) insuffisant pour contenter des besoins trop humains. Il faut donc jouer sur les trois tableaux !