Mort du pape François : Influence, opposants, réputation… Pourquoi le prochain pape ne sera pas français ?

Au Vatican, les cardinaux réunis en conclave vont avoir la charge d’élire le nouveau pape pour succéder à François. Et contrairement aux Italiens, aux Sud-Américains, aux Asiatiques et aux Africains, les Français ne sont pas favoris. Une habitude depuis plusieurs siècles : Le dernier pape français date du XIVe siècle, en la personne de Grégoire XI (1370-1378). Les chances de voir à la tête du Saint-Siège l’archevêque de Marseille Jean-Marc Aveline, l’évêque d’Ajaccio François-Xavier Bustillo, l’archevêque d’Alger Jean-Paul Vesco, le diplomate aux États-Unis Christophe Pierre, le préfet de l’instance juridique suprême du Vatican Dominique Mamberti, ou encore l’ancien archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, sont-elles pour autant nulles ?
« De tous les conclaves modernes, à part trois cas, tous ceux élus pape ont été des surprises. Jamais les favoris n’ont été choisis », rappelle d’emblée Bernard Lecomte, journaliste et auteur *. Le collège des cardinaux électeurs a grandement changé sous François, le pape ayant nommé 110 de ces proches conseillers, originaires de tous les continents. Qui choisir quand les fractures entre conservateurs et un peu plus progressistes sont nombreuses ? De quel côté pourrait pencher la balance ? « Jean-Marc Aveline apparaît plutôt comme un homme de gauche, d’ouverture, et il y a un certain nombre de conservateurs qui ne vont pas vouloir de lui », argue Denis Pelletier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE).
« L’Église, c’est un peu comme une association de pêche à ligne, résume Bernard Lecomte. Si le président est d’un village, il n’est pas de l’autre, et il y a un risque de cassure entre les membres. Donc on va chercher ce troisième homme, entre le favori conservateur et le favori plutôt progressiste ». Un homme de synthèse. Et gare à ceux qui ont la faveur du dernier pape, ils ont toutes les chances de chuter. « A chaque fois qu’un pape a voulu peser sur sa succession, cela a échoué », ajoute Bernard Lecomte. Sortons donc la fiche de poste pour prétendre au poste de successeur de Saint-Pierre :
La santé
Tout d’abord, pour ces seniors, être en forme est une condition sine qua non : « La santé est un prérequis car la charge est écrasante, souligne Charles Mercier, professeur d’Histoire contemporaine à l’université de Bordeaux, spécialiste du catholicisme. Un pape affaibli, c’est le risque qu’il ne gouverne pas vraiment et que ce soit son entourage qui prenne le pouvoir. C’est ce qu’il s’est passé à la fin du pontificat de Jean-Paul II ». Du côté des Français « papables », les « jeunes » archevêques Jean-Marc Aveline, 66 ans, François-Xavier Bustillo, 56 ans, Jean-Paul Vesco, 62 ans, gagnent des points. Mais nuançons : Jorge Mario Bergoglio, futur pape François, avait 76 ans lors de son élection en 2013.
L’élu doit aussi survivre au stress intense. « Être pape, c’est un métier impossible, juge Denis Pelletier. On se demandera toujours si Jean-Paul Ier est mort d’angoisse après 33 jours de pontificat, de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le stress du manager ».
Le charisme
Avoir des talents d’orateur, propager une aura, être séducteur mais ne pas trop en faire… autant de qualités pour être « papable ». En conclave derrière les murs de la chapelle Sixtine, et alors que ces hommes du monde entier se connaissent peu ou pas, « les cardinaux vont apprendre à se connaître. Il y en a qui vont s’affirmer alors qu’ils étaient peu connus auparavant », souligne le professeur Charles Mercier. Car la voix de l’élu doit porter au-delà du Vatican. « Être fadasse, c’est impossible pour un pape du XXIe siècle », considère l’historien Denis Pelletier. « Il y a une demande de responsabilité morale pour le monde, y compris par des gens qui ne croient pas aux valeurs qui fondent son autorité. Quand vous êtes élu président de la République française, vous prenez la France sur les épaules. Quand vous devenez pape, vous prenez le monde sur vos épaules », ajoute ce spécialiste du catholicisme.
La vision de l’Eglise en 2025
Le visage de l’Eglise a changé, ses équilibres démographiques aussi. Avec une baisse parfois spectaculaire du nombre de prêtres et de pratiquants en cinquante ans, les pays du Nord sont en perte de vitesse. « 80 % des catholiques n’habitent plus dans le Nord global, précise Charles Mercier. Les fronts montants du catholicisme sont l’Afrique et l’Asie. Les cardinaux pourraient faire le choix d’élire un pape venu du Sud global, davantage représentatif de ces nouveaux équilibres ».
Mais d’où que l’on vienne, mieux vaut connaître l’italien, langue que ne maîtriserait pas le Français Jean-Marc Aveline. « Le pape est évêque de Rome, il a aussi une présence très forte en Italie, et l’italien est la langue de travail de la Curie, du quotidien, rappelle Charles Mercier. C’est comme parler anglais quand on travaille dans une instance internationale ».
L’intelligence relationnelle
S’il est un chef religieux, le pape n’en est pas moins un homme politique, un chef d’Etat à la tête du Vatican. Une intelligence relationnelle est requise pour savoir s’entretenir en tête-à-tête avec un gouvernant ou soulever un million de personnes lors des Journées mondiales de la jeunesse…
Connaître ses dossiers
Alors que le monde semble tourner plus vite, les « papables » seront jugés, aussi, sur la capacité à gérer les dossiers. Pêle-mêle : comprendre un monde polarisé, renouveler les relations très hiérarchisées de l’Église en son sein, organiser la place des femmes et des laïcs dans l’Église, gérer les scandales sexuels, répondre à la montée de l’individualisme, entretenir de (bonnes) relations avec les représentants des autres religions.
Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger ayant pris la nationalité algérienne, est considéré comme ayant des qualités dans le dialogue interreligieux. Tout comme l’Italien Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, qui comprend Chypre, la Jordanie, la Palestine et Israël. Quant au « papable » le plus politique, il s’agit non pas d’un Français, mais de l’Italien Pietro Parolin, numéro deux du Vatican.
Avoir un réseau… ou non
Etre un homme de réseau peut-il être un atout ? La question agite l’Italie, qui voit en le cardinal Matteo Zuppi, à la tête de l’épiscopat italien, un « papable ». L’homme se distingue notamment par des liens étroits avec Sant’Egidio, pas un ordre religieux mais une communauté d’inspiration libérale. « Au sein du catholicisme, il y a des courants qui cherchent à structurer l’élection du pape en créant des réseaux, soit conservateurs, soit libéraux, et qui essaient de façonner l’état des forces avant même l’élection, commente Charles Mercier. On a parlé des tentatives conservatrices américaines pour que le prochain pape soit plus aligné avec le conservatisme aux Etats-Unis. C’est à double tranchant : les cardinaux électeurs se méfient de ces réseaux, ils peuvent avoir peur d’être manipulés ».
Donner envie aux autres
Comment ces hommes d’Eglise vivent-ils leur foi ? Donnent-ils envie de prier aux autres ? « Tous ces cardinaux se rassemblent sur le fait qu’ils sont unis par la foi. Mais l’élu doit donner envie de prier, de célébrer », selon Denis Pelletier. Or, de nombreux cardinaux « technos », ne célèbrent pas la messe, et peu ou personne ne connaissent leur vie spirituelle. Mgr Christophe Pierre, l’agent diplomatique du Saint-Siège aux États-Unis, ou Dominique Mamberti, le préfet de l’instance juridique suprême du Vatican, attirent moins le regard… et peut-être les suffrages. Quant au cardinal Philippe Barbarin, les chances de l’ancien Primat des Gaules sont nulles, selon le spécialiste des sciences religieuses Denis Pelletier. Poursuivi pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs par le père Preynat, Mgr Philippe Barbarin a été condamné par la justice française en 2019, avant d’être relaxé en 2020. Il a quitté la même année ses fonctions d’archevêque.
Notre dossier sur le Vatican
Verdict ?
Les Français ont-ils une chance d’être élus pape ? Parmi les 138 cardinaux électeurs, le petit contingent français « papable » ne démérite pas, avec des qualités reconnues au-delà des frontières, comme la vision d’une Eglise des marges ou des qualités relationnelles… Mais là n’est pas vraiment la question quand les mécaniques du conclave sont très spécifiques. « C’est une assemblée qui s’oriente au fil des discussions, selon Denis Pelletier. Et c’est plus facile d’orienter une assemblée quand on est Italien, avec toute la culture italienne, et que l’on a été formé au contact des cardinaux européens précédents, que quand on vient de Singapour… même si l’archevêque de Singapour est un type très bien. Ce qui joue dans ces assemblées, c’est être du métier, de la boutique, c’est-à-dire avoir ces codes. Sans caricaturer, c’est mieux d’être Italien, ou Européen ».
Quant aux « papables » François-Xavier Bustillo, Jean-Paul Vesco et Jean-Marc Aveline, les pronostics internationaux ne leur sont, aujourd’hui, pas favorables. « Les trois ont été nommés cardinaux par François et pourraient apparaître comme trop dans sa continuité, estime l’historien Charles Mercier. Tout dépend de la fiche de poste recherchée par les cardinaux. S’ils préfèrent élire quelqu’un dans la continuité de François ou s’ils veulent une rupture. »
* Bernard Lecomte est l’auteur de nombreux ouvrages sur le Vatican, dont le dernier « France-Vatican, deux siècles de guerres secrètes », aux éditions Perrin (2024).