France

Mort d’Emile : À La Bouilladisse, « surprise » et hypothèses après l’arrestation des grands-parents

«La Bouilladisse, commune pour la paix », prévient le panneau d’entrée de ce village situé à une trentaine de kilomètres au nord-est de Marseille. La paix, certains de ses 5.500 habitants voudraient bien l’avoir, alors que depuis trente-six heures, et le placement en garde à vue d’un oncle, d’une tante et des grands-parents maternels d’Emile Soleil, petit garçon de deux ans disparu dans des circonstances encore inexpliquées au Haut-Vernet en juillet 2023, le cirque médiatique se presse devant le portail vert olive de la demeure familiale aux fenêtres barrées de rideaux tirés.

« Est-ce que vous aimeriez qu’on fasse ça à vos enfants ? Ils ne peuvent même pas sortir dans le jardin », invective une proche de la famille venue curer l’enclos à chevaux du jardin des grands-parents. Et d’insister : « Il y a une famille déchirée, c’est ça la réalité de la situation », poursuit celle qui se présente comme juriste, titulaire d’un doctorat en droit criminel. « Et je n’ai pas de conseils à leur donner, ils sont innocents », tonne-t-elle derrière ses lunettes de vues.

Personne ne les fréquente

Au hameau du Pigeonnier, distant de deux kilomètres du centre du village, les portes restent volontiers fermées pour qui sonne à la porte ces temps-ci. « Ce qui est à la traverse de la grotte* reste à la traverse de la grotte », lâche une voisine, retraitée, depuis le pas de sa porte. À quelques maisons de là, dans ce coin de colline rongé par l’urbanisation et gagné par les constructions de villas, une seconde voisine se montre un peu plus bavarde : « Je suis née ici, au Pigeonnier, et j’ai 70 ans. Mon fils avait pour chef scout Philippe, le grand-père d’Emile. Il m’en parlait peu à vrai dire, mais n’a jamais rapporté de problème non plus. Ça lui a plu les scouts, il en a même gardé des amis. Cela dit, je ne lui ai jamais vraiment parlé, à Philippe, et de toute ma vie je n’ai vu sa femme qu’une seule fois. Ce sont des gens discrets, enfin, vous savez, les villages, surtout les hameaux, ce n’est plus ce que c’était. »

Notre interlocutrice explique aussi que la grand-mère de Philippe, dont la garde à vue pour « homicide volontaire » et « recel de cadavre » a été prolongée de 24 heures ce mercredi matin, avait fait le catéchisme à son fils. Si aucun ne semble rien savoir de la vie intra-familiale des Vedovini, personne n’ignore cependant qu’il s’agissait d’une famille extrêmement croyante. « La mère a fait l’école à la maison pour ses dix enfants, puis à partir de la sixième, quand la scolarisation devient obligatoire, les envoyait au collège privé du Sacré-Cœur, à Aix », croit savoir un habitant.

« C’est mon kiné, mais comme voisin c’est “bonjour-bonsoir” »

Un autre voisin, retraité également, rentre de la colline aux romarins en fleur et où sa cueillette d’asperges sauvages lui promet une belle brouillade d’œufs. « J’ai été surpris de son placement en garde à vue à vrai dire. Philippe est mon kiné depuis que je me suis fait opérer de la hanche. J’étais à son cabinet ce vendredi encore, et ma foi, tout allait bien. Je pensais qu’après l’enterrement d’Emile, où j’étais, l’enquête n’avancerait plus. »

Lui aussi décrit un « monsieur tout le monde », « une famille discrète », surprenante par son côté autarcique, mais qui ne génère « aucun problème de voisinage. J’entends parfois ses enfants jouer de la musique, je les vois remonter les poubelles avec la brouette… Mais avec Philippe ça s’arrête là, à “bonjour-bonsoir”. Quand je suis arrivé ici de Marseille, j’ai fait un déjeuner en invitant tous les voisins. Eux ne sont pas venus », se souvient-il.

Et tous ici, au Pigeonnier, jugent l’affaire « bizarre » et se disent impatients d’avoir le « fin mot de l’histoire ». Aucun ne se risque à faire de pronostics où y aller de ses jugements en innocence ou culpabilité. Une précaution que plus bas dans le village, les habitués des deux bars de l’avenue principale ne prennent pas nécessairement.

« Ça fait un peu secte »… Les hypothèses d’apéros

« C’est quand même étrange cette histoire de lettre anonyme suivie du suicide du prêtre qui avait fait le baptême du petit Emile », s’avance Marc*, entre deux bocks de bières. « Moi, je crois qu’il avait reçu la confession du grand-père et que comme il ne pouvait rien dire du fait du secret de la confession, il a fait une lettre et puis s’est suicidé. Et le curé il a été enterré un jour avant le placement en garde à vue du grand-père. C’est quand même surprenant. Un catho ça ne se suicide pas en principe. »

Un collègue de comptoir, sur lequel le journal du jour annonce en Une « Mort du petit Emile : L’heure du dénouement », poursuit : « Autant le grand-père il a mis une tarte au petit qui est mal tombé et il est mort. On peut bien tuer un bébé en le secouant, alors, non. Un enfant de deux ans ? Le grand-père c’était un violent, il paraît. J’ai entendu dire qu’il y mettait des coups de rangers aux enfants. Et s’ils sont venus le chercher, il n’y a pas de fumée sans feu… »

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Trois jeunes travailleurs qui profitent de la pause du déjeuner pour un apéritif, s’interrogent : « Philippe, c’est mon ostéo. En consultation, je trouve c’est un bon déconneur, plutôt bon délire. Après, va savoir comment il est en privé. Je sais qu’il est tarpin chrétien, il a dix enfants et les garde tous à la maison, ça fait un peu secte. Et les faits divers sont remplis de personnes qui ont l’air “normales” : Dupont de Ligonnès qui tue toute sa famille, Jonathan Daval qui pleure à la caméra, participe aux recherches puis avoue six mois plus tard qu’il l’a tuée. Ma foi, la vérité, je m’en tape un peu fait de cette histoire », conclut-il avant de solliciter un nouveau pastis à un patron « qui ne se mêle pas de ce qui ne le concerne pas ».

Dans l’église Saint-Laurent de la Bouilladisse, que la famille Vedovini fréquentait peu lui préférant la chapelle des Pénitents Gris située dans la vieille ville d’Aix-en-Provence, trône une statue de Sainte Rita, patronne des causes perdues et avocate des causes impossibles. Comme un écho à celle de Saint-Antoine de Padoue, le Saint qui aide à retrouver les choses perdues qui figure dans la chapelle du Vernet.

*adresse volontairement modifiée

* Prénoms mondifiés à la demande des personnes concernées