Mort de Thomas à Crépol : l’utilité d’une reconstitution en 3D.
La scène de crime a été recréée en 3D après le meurtre de Thomas, 16 ans, le 19 novembre 2023, lors d’une fête à Crépol, où 14 personnes ont été interpellées pour « homicide volontaire et tentative d’homicides volontaires en bande organisée ». Les juges d’instruction ont réalisé une reconstitution numérique dans le palais de justice de Valence, impliquant suspects et avocats, pour une durée d’environ dix jours.
La scène de crime a été recréée en 3D. Cela fait presque deux ans que Thomas, 16 ans, a été tué lors d’une fête de village à Crépol. Au total, 14 personnes ont été interpellées et mises en examen dans cette affaire pour « homicide volontaire et tentative d’homicides volontaires en bande organisée ». Cependant, l’auteur des coups de couteau mortels n’a toujours pas été identifié. Pour tenter d’éclaircir la situation, les juges d’instruction ont décidé d’effectuer une reconstitution, non pas dans le village drômois, mais sous forme numérique, au sein du palais de justice de Valence.
Lundi matin, suspects, mis en cause, parties civiles et avocats étaient réunis dans une salle du tribunal pour cette reconstitution qui pourrait s’étendre sur une dizaine de jours. « Nous avons tous des écrans montrant la salle des fêtes de Crépol modélisée en 3D. La personne dont la version est reconstituée explique aux techniciens et aux experts ce qui s’est selon elle passé. Elle dit : « À ce moment-là, j’étais là, il s’est passé cela. » Et nous déplaçons son avatar sur le plan », explique à 20 Minutes Me Elise Rey-Jacquot, l’une des avocates de la défense. « Encore faut-il qu’elle s’en rappelle. Nous sommes deux ans après les faits, et ils se sont déroulés dans un contexte où la majorité des personnes présentes étaient sous l’influence de l’alcool. S’ajoute à cela le choc. Enfin, il ne faut pas oublier qu’un témoignage humain est par nature subjectif », souligne-t-elle.
« Un jumeau numérique des lieux »
Thomas a été poignardé le 19 novembre 2023, lors d’un bal organisé dans ce village situé à une quarantaine de kilomètres au nord de Valence. Pendant la soirée, une altercation a éclaté entre des jeunes arrivés à mi-chemin, notamment certains originaires du quartier populaire de La Monnaie à Romans-sur-Isère, et un groupe de participants à la fête. Dans un contexte confus, les premiers ont sorti des couteaux et blessé gravement quatre personnes, dont le jeune rugbyman qui est décédé dans l’ambulance.
Pour préparer cette reconstitution, un expert judiciaire s’est préalablement rendu dans le village et a numérisé la scène. « Nous réalisons ce que l’on appelle un jumeau numérique des lieux. Nous reproduisons les lieux tels qu’ils existent réellement, mais en version numérique, et permettons aux différents acteurs liés à ce dossier de s’y déplacer », indique à 20 Minutes Philippe Esperança, expert en criminalistique agréé à la Cour de cassation. Pour recréer les lieux, les techniciens peuvent utiliser un scanner laser. Cependant, cette méthode est coûteuse et nécessite une intervention rapide sur les lieux après les faits pour consolider la scène avant qu’elle ne soit modifiée. « Nous pouvons également nous baser sur les photos prises par les enquêteurs. Cela permet de présenter les lieux avec une précision jugée acceptable par les magistrats », ajoute Philippe Esperança.
« On reste sur notre faim »
« Pour de multiples raisons, il est bien plus simple aujourd’hui de réaliser des reconstitutions de manière virtuelle », assure l’expert en criminalistique. « Certains lieux sont très difficiles d’accès, d’autres n’existent plus depuis vingt ans. Désormais, il est possible de les reconstituer. » Il mentionne également les « risques » liés aux reconstitutions organisées in situ, où des suspects se retrouvent « obligés de porter des gilets pare-balles par crainte pour leur vie ». Les reconstitutions numériques, qui peuvent se dérouler au tribunal ou dans une maison d’arrêt, « sont aussi beaucoup moins coûteuses en matière de sécurité ». « C’est également beaucoup plus confortable pour les greffières » qui prennent des notes, ajoute-t-il, regrettant que les magistrats « aient encore tendance à vouloir se rendre sur les lieux, par réflexe ».
Le procédé est encore peu utilisé. Les avocats de la défense s’interrogent sur les raisons qui ont poussé les magistrats instructeurs à choisir cette méthode pour ce dossier. « Nous nous posons la question, sans forcément avoir de réponse », confie à 20 Minutes Me Bilel Hakkar, qui défend plusieurs suspects aux côtés de Me Elise Rey-Jacquot. L’avocat reconnaît que « le dispositif de sécurité sur place aurait été exorbitant ». « Il aurait fallu mobiliser des dizaines de policiers, de témoins… Ils étaient plus de 400 ce soir-là. Mais lorsque l’on observe la reconstitution numérique, à ce stade, nous restons sur notre faim. » Les personnes interrogées « se trouvent dans un tribunal, face à des magistrats, on leur montre un écran, une distance s’installe », insiste-t-il. Il conclut : « À mon avis, vous êtes moins en mesure de vous souvenir de ce que vous avez fait ou auriez pu faire que si vous étiez à l’endroit où vous avez vécu la scène. »

