Mort de Jean Pormanove : Les spectateurs qui ont participé en ligne aux sévices peuvent-ils être poursuivis ?

Tentatives d’étranglement, coups, brimades, humiliations… Le streamer Jean Pormanove est mort lundi 18 août, en direct devant des spectateurs et spectatrices médusées, après 300 heures d’un show qui a indigné la planète entière, et plusieurs alertes auprès des pouvoirs publics qui n’ont pas été entendues. Des spectateurs et spectatrices aussi appelés « viewers », qui ont regardé pour la plupart sans essayer d’empêcher les sévices, et qui y ont parfois même directement participé en les payant, et donc en les commanditant. Que risquent ces personnes ? Vont-elles être inquiétées par la justice ? Et quelle est leur responsabilité morale, sinon judiciaire ?
Que des personnes aient été des témoins passifs de ces horreurs ne fait aucun doute, le public de la chaîne « jeanpormanove » avoisinant les 200.000 abonnés aujourd’hui, chaque session de stream engendrant des dizaines de milliers de vues. Mais d’autres ont carrément commandé des coups, lancé des insultes, ou payé pour diverses humiliations, comme l’a révélé dès 2024 Mediapart.
« Vous m’envoyez des messages ‘niquez le’, ‘frappe le’ »
Parmi les commentaires que 20 Minutes a pu visionner, on trouve par exemple un abonné qui fait un don de quatre euros en ligne et déclare sur le chat : « Pour tabasser à mort JP on se fait chier », à partir de quoi, l’un des responsables de la chaîne, surnommé Narutovie, administre une pluie de coups à Raphaël Graven, alias JP ou Jean Pormanove. Un autre demande à JP et Coudoux, autre souffre-douleur de ce macabre show, de se « galocher ». De multiples insultes pleuvent en permanence : « salope », « golmon », « coto » pour « cotorep », en référence à l’organisme chargé d’évaluer les aptitudes des personnes handicapées.
Parfois, certains internautes tentent de calmer le jeu, mais ces voix sont marginales, et coexistent avec de nombreux commentaires incitant à la violence, comme le fait remarquer lui-même Narutovie, dont le vrai nom est Owen Cenazandotti. « Quand il fait rien dans le live, vous m’envoyez des messages ‘niquez lui’, ‘frappe le’, ‘il fait rien dans le live’, et dès que ça lui fait des trucs, vous pleurez parce que c’est un miskin [un faible, en argot] », balance Narutovie le 19 octobre 2024.
Non assistance à personne en danger
Que risquent ces personnes ? Nous avons interrogé plusieurs avocats et professionnels du droit qui tous estiment qu’elles peuvent être poursuivies, à divers titres :
Pour celles et ceux qui ont regardé sans participer directement à la commission d’infraction, elles pourraient être poursuivies pour non-assistance à personne en péril, un délit puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. Il n’est pas sûr que le parquet de Nice, qui n’a pas répondu aux sollicitations de 20 Minutes, aille sur ce terrain, et si d’aventure ces personnes étaient poursuivies, elles pourraient alléguer que la situation de « péril » ne pouvait pas être constatée parce qu’elle était noyée dans la masse, estime maître Romain Ruiz.
Les spectatrices et spectateurs qui ont insulté Raphaël Graven risquent quant à eux 12.000 euros d’amende et même 45.000 euros lorsque l’insulte était validiste, c’est-à-dire orientée sur un éventuel handicap.
Mais ce sont bien évidemment les « viewers » qui ont directement participé aux sévices en les commandant via des dons qui risquent le plus gros. En tant que complices, ils encourent la même peine qu’Owen Cenazandotti et Safine Hamadi, l’autre tortionnaire de « Coudoux » et « Jean Pormanove ». « Ils peuvent être poursuivis pour complicité d’actes de torture et barbarie, harcèlement, violences volontaires, injures… » détaille l’avocate Agathe Morel, spécialisée dans les violences sur les mineurs.
Des violences mieux punies
En avril 2025, le procès d’un Français qui avait commandé des centaines de shows sexuels en direct mettant en scène des mineurs, a d’ailleurs contribué à ce que la question des violences commanditées en ligne soit prise plus au sérieux, et punie plus sévèrement. Jusque-là, les consommateurs et consommatrices de viols en direct sur des enfants, appelés « live streamings », étaient punis pour simple « détention et diffusion d’images pédopornographiques ». Cette fois, Bouhalem Bouchiba, ex-graphiste « star » de Disney et Pixar, a été condamné à vingt-cinq ans de réclusion complicité de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs. « Il a fallu un peu de temps aux juridictions pour comprendre ce dont il s’agissait mais elles ont fini par s’adapter », commente Agathe Morel.
La question du consentement
Tout aussi graves que soient ces violences, il est possible que les internautes qui ont participé et exigé que l’on frappe et que l’on humilie Raphaël Graven échappe à des poursuites, parce que s’ajoute ici un ingrédient un peu différent par rapport aux violences commandées sur les enfants : la question du consentement.
En théorie, la jurisprudence française et la tradition juridique en France estiment que la question du consentement n’intervient pas dans la décision, rapporte maître Ruiz : « Même si quelqu’un est d’accord pour être frappé ou torturé, ça ne change rien à l’obligation d’intervenir ». « On ne peut pas consentir à ce qui nous aliène », complète Lorraine Questiaux, avocate spécialisée dans la défense des femmes victimes de violences. Qui penserait qu’il faut laisser en liberté un homme ayant mangé son voisin, même avec le consentement de ce dernier ?
Sauf que ces dernières années, la question de plus en plus omniprésente du consentement dans le débat public est venue brouiller les pistes. « La culture de la violence a neutralisé l’effectivité juridique et on n’est plus en mesure de protéger des individus contre des actes de torture manifeste », s’inquiète Lorraine Questiaux, qui s’est récemment opposée à une définition du viol basée sur la notion de non-consentement, comme celle que la France vient d’adopter.
Parmi les choses qui ont accéléré cette transformation du droit français figure la décision de la Cour européenne des Droits de l’homme du 17 février 2005 suite à la condamnation d’un homme qui avait des pratiques sadomasochistes particulièrement violentes avec sa compagne. L’homme, une fois condamné, arguant du consentement selon lui de cette dernière, était allé porter l’affaire jusqu’au niveau de la juridiction européenne. Cette dernière ne lui a pas donné raison, l’examen des vidéos ayant montré que sa compagne avait bien refusé certains actes. Mais la cour a estimé que dans un certain cadre, quand les pratiques sadiques ne portent pas « atteinte à la santé de la victime » et « quand celle-ci y consent légalement », alors elles n’enfreignent pas la loi.
Consentement libre et éclairé ?
Dans l’affaire Pormanove, ce dernier avait été interrogé par la justice et avait affirmé être pleinement consentant à ce qui se passait. Raphaël Graven et Coudoux ont indiqué « n’avoir jamais été blessés, être totalement libres de leurs mouvements et de leurs décisions et refusaient d’être examinés par un médecin et un psychiatre », a indiqué le procureur Damien Martinelli dans un communiqué diffusé mercredi.
Mais a-t-on véritablement recherché si Raphaël Graven était totalement consentant ? Pour Véronique Béchu, directrice de l’observatoire e-enfance et ancienne cheffe du pôle stratégie de l’Ofmin (un office expert pour lutter contre les violences faites aux mineurs), l’enjeu se porte sur la nature et l’importance des investigations menées : « Si on donne une part importante au consentement, alors il faut vérifier s’il est libre et éclairé et s’il n’y a pas eu d’abus de faiblesse ou de vulnérabilité. » Elle estime qu’il faudra « établir la responsabilité de ceux qui ont commandité les violences commises » et à terme, légiférer pour en protéger les mineurs, notamment. Sans quoi cette culture de la violence n’est pas près de reculer.

