France

Mort de Jean-Marie Le Pen : Après 96 ans de bruit et de fureur, l’extrême droite française a perdu sa figure majeure

Jusqu’au bout, ou presque, il aura tenté de se battre. Contre l’époque et « sa police de la pensée » qu’il a toujours abjurée, contre la « dédiabolisation » de sa fille Marine qui l’a tenu à l’écart de son propre parti, contre lui-même, aussi, et son goût de la provocation. Jean-Marie Le Pen est mort ce 7 janvier 2025 à l’âge de 96 ans. « Je considère la politique comme un devoir. J’en ferai donc usque ad mortem », disait-il. Avec le décès du « Menhir » se referme une page de l’histoire politique française, qui aura installé le Front national, devenu Rassemblement national, dans le paysage politique.

De la guerre d’Indochine à la fondation du FN

Né en 1928, à La Trinité-sur-Mer, Jean-Marie Le Pen devient pupille de la Nation lorsque le bateau de son père explose au contact d’une mine allemande. Il a 14 ans. « Être pupille de la Nation m’a profondément marqué. Il me semblait que j’avais plus de droits et plus de devoirs. » Jean-Marie Le Pen obtient son bac et entre à la faculté de droit de Paris. Il devient président de la Corpo, l’Association corporative des étudiants en droit. Déjà, la politique. Déjà, les joutes électorales et les premiers coups de poing. A 25 ans, il s’engage et part en Indochine.

« Je suis né entre-deux-guerres énormes, 1914 et 1939, j’ai participé à deux guerres plus petites mais non négligeables, l’Indochine et l’Algérie. J’appartiens donc à une génération que la guerre a enfantée, mûrie », écrit-il dans ses Mémoires. »

Le Pen poursuit aussi son engagement politique. Aux législatives de 1956, il est élu député poujadiste à l’âge de 27 ans. « En rentrant d’Indochine, j’étais un jeune homme en colère contre l’État et la politique française. […] Je me suis dit : « Il faut créer une formation qui soit populaire, nationale et sociale. » » L’homme au bandeau fédère les différentes mouvances d’extrême droite et fonde en 1972 le Front national dans le sillage du mouvement néofasciste Ordre nouveau. C’est le début d’une longue traversée du désert de plus de dix ans.

La montée du Front et les polémiques

Il faut attendre les municipales de 1983 pour voir les premières percées électorales du FN. L’année d’après, Jean-Marie Le Pen entre au Parlement européen avec 10.95 % de suffrages. En 1986, la proportionnelle instituée par François Mitterrand permet l’élection de 35 députés du Front national.

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Les années 1980 voient aussi le « Menhir » accéder plus largement aux médias. Le tribun y pourfend l’immigration, son obsession, et multiplie les provocations sur « la torture en Algérie », « les chambres à gaz », « monsieur Durafour crématoire », « les sidaïques », « les races », « Hitler et Pétain », « les juifs »… Condamné à plusieurs reprises par les tribunaux, l’intéressé n’éprouvera aucun regret. « Avant le « détail », 2,2 millions d’électeurs, après 4,4 millions », ironisera-t-il.

2002, le « choc » du second tour

Avec son slogan fétiche, « les Français d’abord », il se fait le champion des « petits ». Lui est devenu millionnaire après avoir hérité en 1976 de la fortune et de la demeure huppée de Montretout (Saint-Cloud) de son ami décédé, Hubert Lambert.

Jean-Marie Le Pen est cinq fois candidat à la présidentielle. En 1988, puis en 1995, il atteint les 15 %. Les coups d’éclat se poursuivent, ainsi que les coups de poing. A Mantes-la-Jolie, en 1997, il s’oppose violemment à des manifestants, donne du « rouquin » et du « pédé », frappe un instituteur, moleste la maire de la ville, qui s’écroule en pleurs. Il est condamné à deux ans d’inéligibilité.

En 1998, il coupe la tête de son dauphin Bruno Mégret, initiateur d’un « puputsch » pour le renverser. « Ce qui me différencie de César, qu’approchait Brutus le couteau à la main et qui releva sa toge pour se couvrir la tête, c’est que, moi, je sors mon épée et je tue Brutus avant qu’il me tue ! »

Malgré la scission et le départ de nombreux cadres, Jean-Marie Le Pen se qualifie à la surprise générale pour le second tour de l’élection présidentielle en 2002. C’est le choc. Même le candidat frontiste prend peur devant l’éventualité d’accéder au pouvoir : « C’est vrai, j’ai envisagé avec une certaine angoisse qu’il y ait une déferlante populiste. » Il n’obtiendra que 17.8 % des suffrages face à Jacques Chirac.

L’exclusion du FN, Marine « la félonne »

La suite n’est qu’un long déclin. A la présidentielle de 2007, Le Pen obtient un score décevant (10 %), puis « donne » le parti à sa fille Marine en 2011. Il s’oppose vite à la stratégie de normalisation du Front et à Florian Philippot. « Il vaut mieux être le Diable que rien du tout. Il est totalement absurde de vouloir dédiaboliser le FN, c’est comme vouloir rajeunir, c’est un vœu pieux ». Sa fille s’éloigne toujours plus, excédée par les sorties de ce père devenu trop gênant. En 2015, c’est la rupture. Après de nouvelles sorties sur « Pétain » et les « fournées », sa fille l’exclut du Front. Dans ses Mémoires, les mots sont durs : « Un sentiment me domine quand j’y pense : j’ai pitié d’elle. » S’ensuit une longue bataille judiciaire. Isolé, le vieux lion s’est trouvé un dernier combat. « Si vous n’êtes plus combattu, c’est que vous êtes mort ou que vous n’existez pas aux yeux de vos adversaires », dit-il.

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La relation humaine s’apaisera finalement pour les 90 ans du patriarche à l’été 2018. Mais avant de mourir, Jean-Marie aura subi de sérieux affronts politiques. L’amputation du « Le Pen » par sa petite fille Marion Maréchal et le changement de nom de son Front national décidé par sa fille. En creux, une liquidation de son héritage. Un détail de l’histoire, sans doute.