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Mondiaux de judo : « Devenir maman avant les Jeux à Paris, c’était plus fort que moi », confie Clarisse Agbégnénou

« Mon objectif est de revenir avec une médaille ». Ce mercredi, Clarisse Agbégnénou se présente sur le tatami en -63 kg au championnat du monde de Doha au Qatar, quelques semaines après son retour à la compétition à Tel-Aviv. Après avoir mis de côté l’affaire du kimonogate, la championne olympique en titre est concentrée sur ses objectifs et a confié à 20 Minutes comment elle parvient sereinement à concilier sa double vie de sportive de haut niveau et de maman.

Dans un des dojos de l’Insep, il y a quelques semaines, c’est après-midi marathon des médias pour la judokate multimédaillée. Elle répond tout sourire alors qu’Athena, sa fille de dix mois, joue à proximité et passe de bras en bras : « Elle adore rencontrer des gens même si elle me cherche quand même souvent. J’essaie de ne pas être dans son champ de vision sinon elle va vouloir faire l’interview avec nous », sourit Clarisse Agbégnénou au moment où la petite capte le subterfuge et nous rejoint. « Elle est tellement habituée à ce que je l’emmène partout. Et puis elle est vraiment super facile, elle pleure peu et s’adapte vite » confie encore la jeune maman attendrie.

C’est quoi une journée type dans la vie de Clarisse Agbégnénou aujourd’hui ?

Je n’ai pas vraiment de journée type, les jours se ressemblent mais les entraînements diffèrent. Le matin, c’est réveil à peu près en même temps avec Athéna, qui est une lève-tard alors même qu’elle ne fait pas ses nuits et se réveille toutes les 1h30-2 heures pour téter. Je récupère aussi à ce moment-là avant d’enchaîner avec la prépa physique. Soit je l’emmène, soit elle reste avec papa à la maison. Si elle est avec moi, c’est mon préparateur physique qui joue et s’occupe d’elle pendant que je m’entraîne. Puis, retour à la maison à midi. Elle fait la sieste et dans ce moment-là, idéalement je me repose, la plupart du temps, j’ai des choses à faire et je ne me pose pas ! Ensuite, second entraînement à 17 heures. Désormais, ma fille est plus grande donc elle me suit moins et reste à la maison avec son père ou quelqu’un de notre entourage qui la garde.

Qu’est-ce qui a changé depuis votre grossesse dans vos entraînements ? Dans votre quotidien ?

Je ne suis plus toute seule. C’est d’abord elle, je la prépare, je m’occupe de ses affaires, je la fais téter. Et après, c’est moi, je fonce. Quand je suis dans ma séance, je suis très concentrée. Mais avant tout, c’est sa préparation et son bien-être.

Comment fait-on pour se concentrer sur son sport quand on a un bébé de dix mois ? Comment fait-on pour garder la même rigueur, la même concentration ?

Ce n’est pas toujours simple. [Athena a récupéré un stylo et tente de tenir debout. Elle termine sur les fesses, mais ne se décourage pas et réessaie]. C’est très sportif, vous voyez bien (rires !) Mais on n’est pas moins à 100 %. Je suis moins focus sur le judo dans ma vie quotidienne. Par contre sur un tatami, étant donné que c’est un sport en confrontation, je n’ai pas le choix. C’est tellement dur qu’on ne peut pas se permettre de n’être qu’à 90 %. Donc pendant mes séances, que ce soit de la prépa physique ou du judo, j’arrive à gérer. Là maintenant, Athéna grandit, demande plus d’attention, est plus éveillée et donc elle bouge plus. Je préfère la laisser un peu plus, éventuellement à mon conjoint qui m’accompagne et la gère. Ça évite qu’elle me voit et qu’elle m’interrompe. Sinon il la garde à la maison et profite de leurs moments à deux. Parce que comme je l’allaite, c’est vrai qu’elle passe beaucoup de temps avec moi depuis sa naissance. Donc ça leur permet aussi d’avoir leurs moments à deux.

Savoir s’entourer, c’est la clé pour combiner maternité et haut niveau ?

Quand mon projet de maternité s’est précisé, j’en ai rapidement parlé à mon conjoint, ma maman, mon petit frère, Nadia [son agent]et ils ont été unanimes en me disant « il te reste deux ans et demi avant les JO de Paris, on sera là pour t’accompagner ». Même mes copines sont très présentes, elles sont ravies de garder Athéna, elles en profitent. Ils savent aussi que la situation est temporaire. D’une certaine manière, ils contribuent à ma carrière et à ma réussite sportive.

Y a-t-il des frustrations ? Dans votre maternité ? Dans votre pratique actuelle du judo ?

Je suis heureuse, je peux voir ma fille évoluer au quotidien. Elle n’est pas gardée en crèche. Tout le monde m’aide et me soutient. Et concernant le sport, c’est dur mais ça l’était déjà quand j’étais toute seule. Je trouve que je m’en sors bien, je réussis à être compétitive malgré ma grossesse, le post-partum, l’éducation de ma fille.

Comment choisit-on d’avoir un enfant pendant sa carrière de haut niveau ?

On en a discuté avec mon conjoint, qui est plus jeune. Lui était prêt à attendre après Paris 2024. Mais pour moi, ce n’était pas une question de Jeux, même à la maison. L’envie était beaucoup trop forte pour que je la sacrifie, même temporairement. J’avais envie d’être maman, je veux et je peux faire les deux. Si j’avais attendu, j’aurais été triste, j’aurais ruminé et je pense que ça aurait nui à mon état et à même à mes résultats.

C’était donc impensable pour moi de ne pas avoir un enfant avant les Jeux de Paris, même si ça n’arrive pas toujours quand on veut. J’ai eu de la chance car même après avoir pris la pilule pendant dix ans, je suis rapidement tombée enceinte. Juste après Tokyo, j’ai jeté ma plaquette même si elle n’était pas terminée et j’ai enchaîné avec les sollicitations médiatiques post-Jeux. Sans rien calculer, en quelques semaines, j’attendais Athéna.

Est-ce que vous aviez réfléchi cette maternité pendant votre carrière plus jeune ? Y avait-il des modèles auxquelles vous vous êtes identifiée ?

Je n’avais jamais pensé à ça. Déjà, c’est compliqué au début d’une carrière de savoir combien de temps on va tenir, comment elle va se dérouler, savoir si on va réussir comme on a envie. Je rêvais d’être championne. De faire un enfant et de revenir non. Je pensais que c’était trop dur. J’aurais sûrement répondu : chaque chose en son temps.

Mais la maternité s’est imposée, je ne me suis pas posé plus de questions sur la pratique de mon sport. J’ai entendu des « ça va être trop dur, tu ne vas pas y arriver ». Même ma propre mère m’a conseillée d’attendre après les Jeux, de me lancer à fond dans le judo et de voir après. Devenir maman avant les Jeux à Paris, c’était plus fort que moi. Le choix pour moi c’était soit d’être triste pour les JO en 2024, soit de concilier les deux. J’ai choisi et je ne regrette rien.

La décision aurait-elle été différente si vous n’aviez pas remporté le titre olympique à Tokyo en 2021 ?

Je ne sais pas. Quand j’ai loupé la médaille d’or en 2016 à Rio, mon seul but après était de devenir championne olympique. Mais là, avec le report d’un an des Jeux de Tokyo, je pense que j’avais besoin de respirer. Je sortais d’un cycle de cinq ans, ce qui est très long, d’une densité folle tant sur le plan psychologique que physique. C’était vraiment difficile.

Est-ce important pour vous de montrer que c’est possible d’être championne et mère, notamment sur les réseaux sociaux ?

J’en suis persuadée. Sachant qu’aujourd’hui, on entend souvent que ce qu’on voit sur les réseaux n’est pas la réalité. Je montre les moments cool comme les difficiles. Et je reçois plein de messages de remerciement type « merci de montrer que chez toi aussi, les nuits, c’est très compliqué. On sait pas comment tu fais, à quoi tu carbures ». Je réponds que j’ai de la chance d’être bien accompagnée.

Je suis fatiguée, c’est sûr, je sais que je dois faire attention à mon alimentation et mon sommeil, mais pour la deuxième partie avec Athéna, c’est compliqué. Je vais donc essayer de me concentrer sur l’alimentation et prendre des nutriments pour la récup. Tout n’est pas facile. Mais c’est un réel bonheur. Et puis, j’ai la médaille d’or à Paris dans le viseur, j’ai envie de montrer à ma fille qu’il faut tout donner pour atteindre ses objectifs.

La reprise du sport de haut niveau est-elle « allaitement-compatible » ?

C’était une évidence pour moi, au moins sur les six premiers mois. Si mes entraîneurs n’avaient pas été d’accord, j’aurais privilégié ma fille. La fédé internationale de judo m’a autorisée à l’allaiter en salle d’échauffement au Grand Chelem de Tel-Aviv, ça n’avait jamais été fait. J’ai rencontré des personnes à l’écoute, qui étaient volontaires pour tester. Et j’espère avoir ouvert le chemin pour les suivantes, qu’elles se disent que tout est possible. Certes, la partie fatigue n’est pas simple à gérer mais la partie psychologique est très importante à mon sens. Et voir ma fille heureuse me suffit pour puiser ma motivation à gagner une médaille. Je m’évite aussi une vraie logistique, emporter lait, eau, poudre, biberons, chauffe-biberon partout, c’est un vrai gain de temps.

Quel est votre état de forme à la veille de Doha ?

C’est beaucoup mieux. J’avais besoin de faire de la quantité niveau judo. J’ai repris l’entraînement environ un mois et demi après mon accouchement donc ça fait à peine neuf mois. C’est peu. Et je trouve que je m’en sors bien. J’ai retrouvé certains automatismes, il en manque encore un peu. C’est de bon augure pour les Jeux en 2024. Je serais sans doute un peu juste pour les Mondiaux où mon objectif est de revenir avec une médaille, ça risque d’être compliqué pour le titre mais si la tête suit, ça peut passer. Et ensuite, objectif médaille d’or à la maison, je vais tout donner pour conserver mon titre olympique.