Mondiaux de cyclisme : La rivalité entre Van Aert et Evenepoel va-t-elle encore ruiner les chances de la Belgique ?
C’est l’inconvénient de partir dans des contrées lointaines disputer des championnats du monde de cyclisme. Vous vous retrouvez face à des espèces inconnues au bataillon qui viennent vous chatouiller les oreilles en plein effort. Ici, une mouette qui fonce sur Bauke Mollema en plein contre-la-montre. Là, une pie australienne qui poursuit Remco Evenepoel à l’entraînement : « Tout à coup, un oiseau de taille très respectable s’est approché de moi et n’a cessé de me suivre, décrivait le récent vainqueur de la Vuelta. C’est terrifiant. Ça me fait peur. »
Ça ne sera pas la seule espèce belliqueuse à laquelle se frottera le Belge, dimanche, lors de la course en ligne des Mondiaux : Pogacar, Alaphilippe, Madouas, Van der Poel, Van Baarle… et surtout son compatriote Van Aert. Et, de notre position de bon franchouillard, baguette à la main, béret sur la tête et charentaises au pied, on s’attend à un combat de coqs entre les deux Belges.
« Remco en a dit plus à la télé que dans le bus »
Petit retour en arrière : l’an dernier, à domicile, sur le circuit de Louvain, alors que les planètes sont alignées pour que Van Aert décroche le maillot arc-en-ciel, Evenepoel, simple coéquipier, chauffé par le public des Flandres, décide de porter des attaques ravageuses à 180 et 130 km de l’arrivée, lessivant tout le monde, mais surtout Van Aert. « J’avais le sentiment que, sur ce parcours, je pouvais avoir des opportunités pour m’échapper et qu’il y avait des scénarios dans lesquels je pouvais l’emporter, a expliqué a posteriori le jeune coureur. J’aurais pu devenir champion du monde. »
C’est ça, la jeunesse : des boutons encore sur le visage, papa et maman qui font la lessive le dimanche, mamie qui donne un petit billet de 5 euros en cachette, et ça pense devenir champion du monde. Autant dire que ça n’a pas trop fait rire Van Aert : « Personne n’a remis la stratégie en cause avant et c’est très facile de le faire après. Remco en a dit plus à la télé que dans le bus. On va devoir discuter pour aplanir les problèmes. On va encore être amenés à cohabiter en équipe nationale. »
« Remco peut partir de loin et ça peut poser des problèmes à Wout »
Pas loin d’être un devin, l’ami Wout. Car les deux hommes sont bien là, cette année, pour ces Mondiaux en Australie. Et, évidemment, on s’attend encore à ce que ça explose. Dans le coin bleu du ring, Remco « Le Petit Cannibal » Evenepoel, 22 ans, 1,71 mètre, 61 kg. Victoires à Liège, San Sebastian, et surtout la Vuelta en 2022. Dans le coin rouge, Wout « La Bête d’Herentals » Van Aert, 28 ans, 1,90 mètre, 78 kg. Victoire sur le Het Nieuwsblad, deux étapes du Dauphiné, trois étapes et maillot vert du Tour en 2022.
Vu les deux phénomènes, on a comme un doute de voir Wout Van Aert se sacrifier dans les derniers kilomètres pour son jeune compatriote. Et vice-versa. On imagine déjà, sur ce circuit exigeant de Wollongong, où la répétition de deux bons raidards fera les différences, voir Remco Evenepoel attaquer de loin, très loin, sous les yeux ébahis du passe-partout (rien à voir avec le chanteur) de la Jumbo-Visma. Un scénario aussi envisagé par Jens Debuscherre, le coureur de la B & B Hotels, joint par 20 Minutes :
Même si je pense que tout sera fait pour Wout pendant la course, je pense que Remco peut faire quelque chose. Alors, ils ont dit que oui, tout était réglé, qu’ils avaient parlé après les Mondiaux, mais je ne sais pas si c’est vraiment le cas. Peut-être qu’il n’y a pas trop de confiance entre les deux. Remco marche vraiment fort. S’il est dans la même forme, il peut partir de loin, faire la course et ça peut poser des problèmes pour Wout. Si ça arrive, je ne pense pas que Wout sera content. Ce sont deux champions, et ils ne veulent que gagner. »
Deux leadeurs en Australie
Sauf que, cette année, promis, « l’équipe est vraiment batie autour des deux, Van Aert et Evenepoel, nous assure l’ancien sélectionneur belge Carlo Bomans. On a deux leadeurs. Je pense que le coach va tout faire pour que les deux soient sur un pied d’égalité. » « Pour le moment, c’est la paix des braves, ajoute Sébastien Close, journaliste belge au quotidien Le Soir, présent en Australie. On sent qu’il y a consensus et que le coach national n’a cessé de répéter que les deux coureurs étaient compatibles, qu’ils étaient tous les deux leaders. »
On la connaît, cette stratégie de l’autruche. Il y en a qui ont essayé. Alors, comment faire pour que deux gros coureurs cohabitent dans la même équipe pour le bien commun d’un pays ? « La priorité va être la cohésion, s’il n’y en a pas, ils vont avoir des problèmes, relève Axel Merckx, fils de, aujourd’hui manager général de l’équipe Axeon Hagens Berman. Il va falloir qu’ils s’entendent et se mettent d’accord sur une tactique de course à avoir pour avoir un champion du monde belge. Qu’il y ait de l’honnêteté envers l’un et l’autre. »
Prendre l’exemple de Valkenburg, en 2012
Ce n’est pas la première fois que la Belgique va se retrouver avec plusieurs leaders au départ d’un Mondial. Si ça n’a pas toujours fonctionné, nos chers voisins pourront toujours se rappeler au doux souvenir de Valkenburg, en 2012, où Philippe Gilbert avait décroché le Graal, alors que Tom Boonen et Greg Van Avermaet étaient dans l’équipe. Carlo Bomans, qui était le manageur belge à l’époque, se souvient :
Avant la course, un coureur comme Boonen ou Van Avermaet savait ce qu’il devait faire et ce que j’attendais de lui selon comment évoluait la course. On en avait parlé avant la course et, pendant, on n’a pas eu besoin de s’expliquer, tout était clair. Tom s’est mis au service de Philippe, et il est devenu champion du monde. »
Alors, quel est le scénario rêvé pour la sélection du plat pays ? « Tout est fait pour que les deux collaborent au mieux et que la Belgique utilise les deux armes qu’elle a en fonction de la tactique de course, conclut Sébastien Close. Ça me paraît évident que, s’il y a une arrivée groupée, ça sera pour Van Aert, et que le rôle d’Evenepoel sera de tout faire péter à deux trois tours de la fin. Mais je ne pense pas qu’on puisse voir Remco partir aussi tôt dans la course, comme l’année dernière. » Non, il attendra juste les 70 derniers kilomètres et roulera pour son coéquipier à la Quick Step, Julian Alaphilippe. Dès lundi, la devise de la Belgique en sera même changée. « Eendracht maakt macht » ou « L’union fait la force », qu’ils disaient.