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Mondial de handball : « On a gagné à la loterie ! »… Comment les Bleus ont mis à profit leur profusion de gauchers

L’effet ketchup, ça vous parle ? On a toutes et tous connu ça un jour : vous tapez, tapez, tapez sur le cul d’une bouteille de ketchup mais rien ne sort, jusqu’à ce que – Splatch ! – il y ait de quoi tremper l’équivalent de la consommation journalière de frites en Belgique dans votre assiette. Hé bien c’est ce qu’est actuellement en train de vivre l’équipe de France de handball, qui affronte ce mercredi l’Allemagne en quart de finale du Mondial, avec les gauchers.

Longtemps en dèche de cette denrée rare dans le handball de haut niveau – puisque, dans l’idéal, il en faut au moins deux pour tenir les postes d’ailier droit et de latéral droit, soit 30 % de l’équipe, alors que les gauchers ne représentent que 10 à 13 % de la population mondiale – les Bleus roulent désormais sur l’or de ce point de vue là. Il est loin le temps où Claude Onesta, en galère de gauchers qui tiennent la route, devait demander au droitier Jérôme Fernandez de dépanner au poste d’arrière droit.

« C’est une grande richesse que les autres nations nous envient », acquiescent l’ancien capitaine des Experts. Avec Nedim Remili, Dika Mem, Melvin Richardson, Valentin Porte et Yanis Lenne, les Bleus sont armés comme personne dans ce Mondial 2023. Avec le recul, Philippe Bana en rigolerait presque.

« C’est une histoire de fou parce que pendant très longtemps on a eu des gauchers de talent et puis ça s’est tari peu à peu, à tel point qu’au début des années 2000, aux JO de Sydney, on s’est angoissé à l’idée de ne pas avoir de gauchers performants. On était très inquiets car on avait appris à jouer avec eux, il y avait comme un aveu d’impuissance. Et puis finalement ils sont tous revenus d’un coup à un moment où on ne les attendait plus. Du jour au lendemain, il s’est mis à pleuvoir des gauchers sur le handball français ! »

A la recherche du gaucher perdu

Comment expliquer cela ? Pour sa part, le président de la FFH préfère se la jouer « humble » en parlant d’un « don du ciel ». « Il ne faut pas y voir quelque chose de très organisé, développe-t-il. Il y a dans les politiques de détection mises en place une grosse part de hasard et de chance. Là, on a gagné à la loterie ! ». Il n’empêche, l’attention fédérale a aussi joué dans cette chasse aux gauchers. A chaque fois qu’un club en tenait un bon parmi ses jeunes, il faisait en sorte de l’attraper par le colback et de faire remonter l’info.

« On est comme des chercheurs d’or, détaille Philippe Bana. On n’a pas le droit de se tromper ni de laisser passer la perle rare. Aujourd’hui, que ce soit sur le poste de gardien ou d’arrière droit, tout le monde est en train de creuser pour chercher la pépite. Ma fille a 7 ans, elle est arrivée dans son club il y a un an et tout le monde la regardait en disant ‘ah elle est grande’, mais sans plus. Et à un moment donné elle a dit ‘je suis gauchère’, et là tout le monde est arrivé pour lui dire ‘allez, viens chez nous !’. Effectivement, ce truc-là existe. »

C’est d’ailleurs ce particularisme qui a fait que Dika Mem a tenté sa chance, lui qui n’était absolument pas prédestiné à faire carrière. « Si j’avais été droitier, je n’aurais sans doute pas fait de hand, confiait-il à l’AFP en 2017. J’ai commencé parce qu’on m’a dit que les gauchers étaient recherchés et que je pourrais jouer en sélection départementale. » Si le phénomène ne date pas d’hier non plus, la plupart des gauchers de l’équipe de France ayant déjà un peu de bouteille en Bleu, encore fallait-il s’adapter à cette profusion et réfléchir à la manière de bien l’utiliser. Ainsi, au lieu de les mettre tous en concurrence aux postes de latéral et d’ailier droit, « ce qui aurait été un immense gâchis » selon Olivier Krumbholz, le coach de l’équipe de France féminine, la France a fait en sorte de jouer sur la complémentarité des profils et de bousculer un peu les codes d’un handball qui a de tout temps penché à gauche.

« On s’est retrouvé avec une telle profusion de gauchers qu’on a fini par arroser les autres postes auxquels ils n’étaient pas prédestinés, comme celui de meneur de jeu, où jouent aujourd’hui Nedim Remili et Melvin Richardson, chose qu’on avait encore jamais vue en un demi-siècle de handball, explique Bana. Ça crée des opportunités nouvelles d’un point de vue tactique et ça pose beaucoup de problèmes aux adversaires. »

Pourquoi ? « Parce que 98 fois sur 100, dans le handball de haut niveau, le demi-centre est droitier. Je vous laisse imaginer la complexité pour les défenses de devoir tout à coup s’adapter face à un gaucher », ajoute Olivier Krumbholz. Jérôme Fernandez décrypte : « Quand vous êtes défenseur central comme Luka Karabatic ou Ludovic Fabregas et que vous avez l’habitude de défendre sur des droitiers au poste de demi-centre, vous avez des automatismes qui se créent avec votre binôme défensif, et ils sont bouleversés quand vous devez défendre sur un gaucher. Les trajectoires de balles ne sont pas les mêmes, les effets et les lignes de passes non plus, ce n’est pas évident de s’adapter à ça. »

Les gauchers, « des personnalités à part » pour Krumbholz

Si cette espèce rare est beaucoup plus représentée (et donc choyée) dans le sport de haut niveau que dans la population générale selon différentes études, du fait, entre autres, d’un temps de réaction légèrement plus rapide que les droitiers lorsqu’il s’agit d’information visuelle et spatiale, les gauchères et les gauchers n’ont à l’inverse jamais eu la vie facile en société. Jusque dans la linguistique de certains pays, où le mot « gauche » est souvent péjoratif. En français, il est par exemple synonyme de pataud, maladroit, balourd. Et quand on est mal luné, comme par hasard, de quel pied s’est-on levé, hein ? Autrefois, à l’école, ceux-ci étaient tenus de se forcer à écrire de la main droite sous peine de tâter de la badine.

Même si les temps ont changé, heureusement, le parcours de vie des gauchers en fait des athlètes à part selon Olivier Krumbholz : « Les gauchers sont souvent des joueurs un peu particuliers dans un groupe, ce sont souvent des personnalités à part. Ça tient à leur parcours atypique, dans le handball mais aussi dans la vie de tous les jours. Quand vous êtes gauchers dans la vie, ce n’est pas sans conséquences. Il y a plein d’ustensiles que vous avez du mal à utiliser par exemple. La société est quand même organisée pour les droitiers, et ce parcours atypique accouche souvent des personnalités atypiques. » Des personnalités dont regorge l’équipe de France, pour le plus grand bonheur du sélectionneur Guillaume Gille. Et le malheur des coachs adverses.