« Mon meilleur et pire ennemi » : Comment le sport intensif peut devenir toxique pour les adolescents ?

Entre deux boutons d’acné, les devoirs du prof de maths un peu trop sévère et les tensions avec les parents « trop relous », les adolescents ont souvent trouvé leur échappatoire : le sport. Et c’est une bonne chose : une étude mondiale menée par Asics en 2024 a démontré que les adolescents pratiquant une activité physique régulière affichent un meilleur bien-être mental à l’âge adulte, avec des scores plus élevés en matière de résilience, de calme et de satisfaction. Mais, parce qu’il y a toujours un mais : comme toute bonne chose, il ne faut pas en abuser. Et le sport trop intense, surtout chez les adolescents pratiquant du haut niveau, peut se transformer en cauchemar.
Souvent perçu comme un tremplin vers l’excellence, mêlant passion, discipline et dépassement de soi, le sport à haut niveau pratiqué jeune n’est pas sans conséquence. Derrière les médailles et les podiums, même à l’échelle locale, la pression intense et les exigences physiques et mentales peuvent laisser des cicatrices durables sur la santé mentale des jeunes.
De l’épanouissement à la pression
Marina*, 26 ans, se souvient de ses débuts en natation synchronisée à l’âge de 11 ans dans l’est de la France : « Quand j’ai découvert la natation synchronisée, je trouvais ce sport merveilleux. Dès l’instant où j’ai commencé, je sentais déjà la pression, mais c’était une bonne pression. Le dépassement de soi, l’esprit d’équipe, la fierté de la réussite… » Aujourd’hui adulte, elle se souvient d’y avoir passé des années « merveilleuses » pendant quatre ans où elle s’est fait des amies pour la vie entre deux ballets. Yann Garric, le champion du monde de twirling bâton, partage cet enthousiasme : « Le sport m’a appris tellement de choses : l’organisation personnelle, l’indépendance, la créativité. » Sa passion pour le twirling l’a porté dès l’enfance, mais elle s’est accompagnée d’une exigence écrasante.
« Tout était tourné autour du sport »
En effet, la quête de performance peut rapidement transformer la passion en fardeau. « Plus on montait en niveau, moins je suivais. Mes week-ends et mes vacances étaient à la piscine, mes moments en dehors des cours étaient à la piscine… Je n’avais pas la même adolescence que mes amis du collège et parfois, ça me pesait. Tout était tourné autour du sport. A cela s’ajoutait le stress des entraînements, des compétitions et même des galas », décrit Marina. Cette perte de l’équilibre entre vie personnelle et sport est un facteur de risque majeur. Selon une étude de 2024 de la Fondation FondaMental, 17 % des jeunes sportifs de haut niveau en France présentent des risques de dépression modérée à sévère, et 24 % souffrent de troubles anxieux.
Nicolas Fricaud, psychologue du sport, explique : « Les jeunes sportifs, peuvent subir une forte pression de la part de leurs proches et des entraîneurs. Il faut qu’ils prennent du recul pour savoir s’ils sont capables de continuer ou non. »
Cette pression peut être exacerbée par des entraîneurs trop exigeants. « Adolescent, l’exigence du sport a été très compliquée, voire trop compliquée. Je suis tombé dans un club où mon entraîneur n’avait aucune compassion pour les athlètes. Si on ne faisait pas un programme parfait, on se faisait descendre et rabaisser comme je l’ai très peu entendu ailleurs », raconte de son côté Yann.
Le syndrome du surentraînement
A la pression et les difficultés, s’ajoute le surentraînement. « Chez les sportifs que je suis, vous pouvez avoir le syndrome du surentraînement. Il y a tellement d’entraînements que la personne n’arrive pas à récupérer physiquement et mentalement. C’est comme un burn-out du sport. Ça peut amener à une dépression et à un arrêt de la pratique », développe le psychologue du sport.
Yann en a fait l’expérience : « J’ai connu le syndrome du surentraînement, mais c’est moi qui me le créais tout seul, à vouloir tellement être perfectionniste pour atteindre mes objectifs. Je m’entraînais même en dehors des entraînements. » Cette quête de perfection, fréquente chez les jeunes athlètes, peut conduire à un épuisement total. Si le sport forge des qualités humaines exceptionnelles, il expose aussi les jeunes à des pressions qui peuvent les fragiliser.
Les TCA, un mal du sport
Une fragilité mentale qui peut être empirée dans des sports où l’esthétique et le poids jouent un rôle clé, comme la natation synchronisée, la gymnastique rythmique ou les sports à catégorie de poids, exposent particulièrement aux troubles du comportement alimentaire (TCA). « Sans m’en rendre compte, j’ai commencé à me sous-alimenter pour répondre aux critères physiques imposés aux nageuses. On s’entraînait 8 à 10 heures par semaine, alors j’ai vite perdu. Ça inquiétait mes parents, mais ça semblait avoir un impact positif dans mon équipe », confie l’ancienne nageuse artistique.
Une étude de 2019 publiée dans le Bulletin de l’Académie nationale de médecine indique que 15 à 65 % des sportives de haut niveau dans ces disciplines souffrent de TCA, avec des conséquences graves sur la santé physique et mentale. Nicolas Fricaud confirme : « Les TCA touchent davantage les sports où le physique et l’esthétique règnent, majoritairement des sports dits féminins comme la GRS ou encore la gym, où le poids peut faire la différence, mais aussi dans des sports comme la boxe ou le judo où chaque kilo compte. »
Le deuil d’une carrière
Pour certains, les conséquences du sport intensif perdurent bien au-delà de l’adolescence. Marina, aujourd’hui âgée de 26 ans, confie que son mental et son corps ont lâché adolescente. « Mon médecin m’a demandé d’arrêter un temps pour que je me soigne. Aujourd’hui, je n’ai jamais repris d’activité physique régulière car j’ai toujours peur de m’investir à nouveau et de m’oublier. Je ne suis toujours pas sortie de l’anorexie, même si elle est aujourd’hui contrôlée. Ce sport a été mon meilleur et pire ennemi. Quatre ans de passion transformés en pression pour une vie entière de combat, c’est cher payé. »
Pour les nombreux jeunes sportifs qui ne deviennent pas professionnels, l’arrêt du sport peut être un autre défi. « Il y en beaucoup qui le vivent très bien. Pour d’autres, le deuil de la carrière est plus difficile », note Nicolas Fricaud. Yann, lui, a su trouver un équilibre pour pouvoir poursuivre sa carrière dans le sport : « J’ai eu une période difficile, mais ça va mieux. J’ai réussi à apprendre le juste milieu. » Marina, elle, ne veut plus en entendre parler : « Quand j’y repense, c’était beaucoup trop de pression pour un sport qui ne paie pas vraiment en France. On ne faisait pas du foot où on pouvait avoir l’espoir d’en vivre plus vieux. »
*Le prénom a été modifié.

