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Mode : Le coronavirus a-t-il eu la peau des talons hauts ?

Le coronavirus a-t-il eu la peau des talons comme il a eu celle du soutien-gorge ? Depuis la crise sanitaire, les pieds des femmes semblent avoir quitté les cimes pour revenir à des chaussures plus terre à terre. En 2020, les ventes de hauts talons ont dégringolé de 45 % d’après le NPD Group, entreprise américaine d’études de marché. En cause notamment : l’essor du télétravail. « Les talons, c’est vraiment le monde d’avant, confirme Laura, travaillant dans un cabinet d’assurance à Metz. Quand on bosse de chez soi, il n’a aucun intérêt à se faire mal aux pieds. Au travail, on est moins protocolaire qu’avant. Si les hommes ne mettent plus de cravates, pourquoi nous, on porterait encore des talons ? »

Dans une étude menée en 2021 par le cabinet spécialisé IWG, 59 % des sondés déclaraient que l’époque des tenues formelles était révolue au travail, et 64 % des salariés souhaitent aujourd’hui opter pour des vêtements confortables au bureau. « Le coronavirus a vu la victoire définitive du confort et du pratique sur le pur esthétique », soutient Sophie Malagola, créatrice de mode et ancienne directrice des collections chez DIM et chez Etam. Très clairement, l’époque est plus aux Birkenstock qu’aux Louboutin.

L’avènement de la sneaker

Mais en réalité, le déclin des talons aiguilles ne date pas du confinement. Selon la fédération française de chaussure, en 2019, la vente de talons était déjà en baisse de 5 % dans le monde, dépassé par l’avènement des sneakers. Entre 2010 et 2020, la célèbre basket a grignoté chaque année 4 % de part de marché du monde de la chaussure. « Une paire de sneakers demeure aujourd’hui un accessoire de mode, contrairement aux baskets d’il y a 15 ou 20 ans », appuie Sophie Malagola. D’autant que la mode est de plus en plus non-genrée. « Il y a désormais une porosité entre les collections homme et femme ». Finis les carcans par sexe : derby, mocassin ou bottines peuvent désormais être portées par tous.

Si pour certains produits, « les essayer, c’est les adopter », les chaussures à talons raisonnent avec la logique inverse : les délaisser, c’est les abandonner. « A force de s’habituer à porter des chaussures plates ou ultra-confortables, ça devient de plus en plus compliqué de revenir aux talons », note Sophie Malagola. Un constat partagé par Leslie, parisienne de 32 ans et directrice d’école : « Les talons, c’est comme le métro. J’ai arrêté de prendre les transports en commun pendant les confinements et physiquement je ne peux plus les reprendre. » Elle fait désormais tout à vélo… et à plat. C’était d’ailleurs la symbolique du talon au XVIIIe siècle, note Yvane Jacob, historienne de la mode et autrice de Sapé comme jadis (2019, Robert lafont) : « Les hommes de l’aristocratie en portaient, justement parce qu’on ne peut pas trop marcher avec. Cela montrait qu’ils n’avaient pas à travailler. »

Incompatibilité avec le mode de vie urbain

Depuis la fin du confinement, les mobilités dites « douces » – le vélo, la trottinette – connaissent un essor sans précédent. Et le côté peu pratique des talons ne plaident pas en leur faveur. « Il est inadapté aux modes de vie actuels, estime Sophie Malagola. Aujourd’hui, une femme doit courir derrière le bus, prendre les escaliers, marcher beaucoup en ville. On ne prend plus la voiture pour sortir juste en face du travail, le mode de vie ultra-urbain change les choses. »

Une évolution sociétale que nuance Yvane Jacob : le métro, par exemple, existe depuis le début du XXe siècle, et les femmes n’ont pas attendu le troisième millénaire pour courir après ou marcher dans les rues. Mais « l’histoire du vêtement montre une évolution globale vers plus de confort et de praticité, notamment pour les femmes », appuie l’historienne. En 1949, Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe écrit d’ailleurs à propos des vêtements et des femmes : « On ne cherche pas à servir ses projets, mais au contraire, à les entraver. La jupe est moins commode que le pantalon, les souliers à hauts talons gênent la démarche ».

Féminisme et réappropriation

70 ans plus tard, les Japonaises lançaient le hashtag #KuToo – mot-valise entre « kutsu » (chaussure), « kutsuu » (douleur) et #metoo – pour dénoncer l’obligation de porter des escarpins au travail. Ne plus souffrir en équilibre sur des aiguilles de 12 centimètres, nouvelle émancipation féministe ? « Le talon peut très bien être porté par les femmes, tant que c’est un choix et non une obligation ou une incitation par les hommes », nuance Yvane Jacob. Et attention à ne pas trop enterrer la chaussure haute. Si elle a quasiment disparu en journée, « elle est encore très appréciée pour les tenues de soirée, cela dénote encore plus qu’avant et permet donc un meilleur effet », indique Sophie Malagola. Les codes ont changé, le talon s’adapte.