France

Mer Méditerranée : Marseille veut l’interdiction des « scrubbers », ces filtres de navire pas si écolos

La ville de Marseille a décidé de s’attaquer à un « angle mort de la lutte contre la pollution maritime » : les « scrubbers », ces filtres placés dans les cheminées des navires pour « laver » les fumées issues de la combustion du carburant à l’eau de mer. Et ainsi réduire, comme la réglementation l’impose d’ici 2025 en Méditerranée, les émissions atmosphériques d’oxydes de soufre.

Sauf qu’à écouter scientifiques et associations, ces scrubbers dits à boucle ouverte, puisqu’ils rejettent les eaux de lavage en mer, ne font que déplacer une pollution de l’air vers une pollution marine. « Actuellement, les scrubbers sont le nouveau vecteur de la pollution en mer, estime ainsi Jacek Tronczynski, chercheur Ifremer à Nantes, qui a coécrit un rapport sur le sujet. Les rejets en mer sont riches en métaux lourds et contaminants chimiques, qui passent dans le réseau trophique. »

« L’idée est de sensibiliser l’ensemble des maires de Méditerranée sur cette question des scrubbers à circuit ouvert, pour que l’organisation maritime internationale les interdise au plus vite, il y a urgence », a lancé mardi Sébastien Barles, adjoint au maire de Marseille à la transition écologique, qui soutient l’initiative lancée par les associations Zéro Fossile Toulon et Cap au Nord pour alerter sur les dangers du dispositif et réclamer son interdiction pure et simple. « En 2025, va être créée la zone SECA limitant en mer Méditerranée les émissions de soufre à 0,1 % en sortie de cheminée », rappelle Guillaume Picard, du collectif Zéro Fossile Toulon : « Mais au lieu d’utiliser un carburant à 0,1 % de soufre, deux à trois fois plus cher que le fioul lourd, les armateurs détournent la règle et équipent les navires de scrubbers pour balancer tout à la mer. »

« Nous sommes dans les clous »

Selon lui, un fuel lourd polluant coûte 400 euros la tonne, quand du gasoil de meilleure qualité et conforme à la réglementation avoisine les 1.000 euros. Le calcul serait ainsi vite fait, sur le dos de la biodiversité et de l’environnement : « Les rejets en mer tuent instantanément le phytoplancton et viennent acidifier les océans et les mers qui contribuent à réguler le réchauffement climatique », dénonce ainsi Hervé Menchon, adjoint au maire de Marseille en charge de la biodiversité marine. De son côté, Guillaume Picard rapporte les résultats d’une étude scientifique qui a suivi onze navires en Méditerranée équipés de scrubbers : « Ils polluent autant que ce que rejette le fleuve du Rhône en une année. Par navire, ce sont 2.000 à 3.000 tonnes à l’heure de mer polluées qui sont rejetées. »

Président de l’Union maritime et fluviale de Marseille-Fos, Alain Mistre réfute privilégier un argument économique en utilisant un fuel moins cher et filtré. « Equiper d’un scrubber un navire qui fait la liaison avec la Corse coûte près de 10 millions d’euros », fait-il valoir. Selon lui, les « scrubbers » répondent avant toute chose à « un objectif de réduire la pollution de l’air par de l’oxyde de soufre ». « Nous sommes dans les clous », ajoute-t-il, précisant « qu’il faut laisser le temps aux navires de s’équiper de boucles fermées », autrement dit d’un système de récupération des eaux de lavage.

Depuis début janvier, l’Etat interdit le lavage des fumées par l’eau de mer à moins de 3.000 mètres des côtes et en zone portuaire, une dérogation existant toutefois jusqu’en 2025 pour les liaisons régulières, comme Corsica Linea avec la Corse. « Les 3.000 mètres, cela fait 10 à 15 minutes de navigation », temporise Guillaume Picard, relevant la difficulté de contrôler la quantité et la teneur des rejets en mer, à la manière des dégazages. Jacek Tronczynski, pour sa part, convoque cette image : « Un navire, c’est une usine qui fonctionne et se déplace en mer ». « Il existe des alternatives au lavage en mer des fumées, ajoute-t-il. Ce sont les scrubbers en boucle fermée, qui stockent les résidus de lavage à bord au lieu de les rejeter directement en mer. Cela a un coût économique. Il faut des dispositifs de récupération dans les ports et une chaîne de traitement de ces déchets. » En somme, toute une logistique à mettre en place.