Mayotte : « Toute une génération ne sait pas ce qu’est un cyclone »… Les lourdes conséquences du manque de préparation
«Réellement, nous ne sommes pas prêts, ni la population, ni les collectivités. » Le 13 décembre, à la veille du passage du cyclone Chido, le géographe mahorais Said Said-Hachim a voulu alerter, sur la chaîne Mayotte la 1ère, les habitants de l’île de la dangerosité de l’événement climatique qui menaçait. Si le dernier bilan se chiffre à 22 morts, il risque d’atteindre plusieurs centaines voire plusieurs milliers de personnes décédées.
Dans son interview, Said Said-Hachim dressait le constat d’une terre où « la culture du risque cyclonique n’est pas très installée », alors que le dernier passage d’un cyclone dévastateur, Kamisy, datait de 1984. Vingt-cinq mille personnes s’étaient alors retrouvées sans abri. En 1934, l’œil d’un cyclone était déjà passé sur Mayotte, causant de nombreux décès.
Le géographe craignait particulièrement pour les 100.000 personnes habitant dans les bidonvilles, soit un tiers de la population mahoraise. En 2017, selon l’Insee, les constructions fragiles (maisons en tôle, bois, végétal ou terre) constituaient près de quatre logements sur dix, 65 % de la population qui y vivait était étrangère, venant notamment des Comores.
Des rafales à 320 km/h à Saint-Martin en 2017
Balayant comme un château de cartes les bidonvilles, arrachant les toits des habitations en dur, Chido a frappé durement l’île avec des rafales à plus de 230 km/h. « Cette tragédie était malheureusement prévisible », confirme Monique Gherardi, ingénieure des sciences de l’information géographique au sein de l’université Paul-Valéry Montpellier-3. Elle a participé au retour d’expérience sur la saison cyclonique 2017, après le passage d’Irma, qui avait frappé les petites Antilles françaises avec des rafales à 320 km/h.
A Saint-Martin, cet ouragan avait fait 11 morts et très fortement endommagé les infrastructures avec 95 % du bâti endommagé et 20 % de constructions complètement détruites. Le travail des scientifiques a permis de classer en cinq niveaux le bâti en fonction de leur vulnérabilité. L’habitat précaire en bois, tôles ou matériaux de récupération, est le plus vulnérable, quand les bâtiments à la structure calculée et renforcée en béton sont les plus à mêmes de résister aux vents forts.
« Toute une génération ne sait pas ce qu’est un cyclone »
Des entretiens menés sur place ont aussi montré l’importance d’être bien informés des risques pour se protéger. A Saint-Martin, les chercheurs ont noté « une bonne connaissance des phénomènes cycloniques et des consignes associées, ainsi qu’une préparation à traverser l’évènement ». Une information qui semble avoir péché à Mayotte.
Le 13 décembre, Said Said-Hachim avait aussi voulu battre en brèche l’idée que le cyclone passerait à côté de l’île, comme avec Belna en 2019 ou que l’île serait protégée par Madagascar. Il appelait à évacuer les habitations légères qui sont en hauteur à la prise de vent et celles sur le littoral puisqu’un cyclone élève le niveau de la mer. « Toute une génération ne sait pas ce qu’est un cyclone, et ceux qui préparent le plan d’organisation de secours ne sont pas assez sensibilisés sur cette question », estimait-il.
La pauvreté, un facteur aggravant
Pour Oxfam France, qui a dénoncé dans un rapport en juillet 2024, l’impréparation des pouvoirs publics et des populations face aux risques liés au changement climatique, il est urgent d’agir. Dans les territoires
ultramarins, pointe le rapport, l’intensité des cyclones risque d’augmenter, bien qu’il soit encore trop tôt pour attribuer la puissance de Chido au réchauffement climatique.
« Plusieurs choses peuvent être mises en place, explique Elise Naccarato, spécialiste des impacts sociaux du changement climatique d’Oxfam France. D’une part, il faut avoir des systèmes de prévention, pas que des systèmes de réaction, soit en rénovant l’habitat, soit en construisant des abris. Mais cela nécessite aussi de la formation et de l’information dans les écoles et pour les adultes. »
Elle insiste sur l’importance de l’accessibilité des solutions de mises à l’abri : « Si la population craint de se rendre dans les centres de prévention parce qu’elle a peur de se faire expulser, ce n’est pas une solution qui est viable », relève-t-elle.
Notre dossier sur le cyclone à Mayotte
Les vulnérabilités diffèrent en fonction des populations, rappelle Elise Naccarato, et la pauvreté est un facteur aggravant, tout comme le manque d’infrastructures collectives. Il n’y a par exemple qu’un seul hôpital à Mayotte, à Mamoudzou. « Pour prévenir les effets du changement climatique, on a besoin de plans d’adaptation qui soient réalistes, concrets et financés surtout », complète-t-elle.