Marseille : Le « bar Marius », un PMU où l’on « flambe, on boit et on laisse tout le reste à la maison »
Un trèfle à quatre feuilles décore la façade extérieure, sous les logos de la FDJ (Française des jeux) et de PMU. Perdu au croisement des ruelles Barbini et Toussaint du 3e arrondissement de Marseille, l’un des plus pauvres de France si ce n’est d’Europe, le « Bar Marius » est l’un des derniers lieux de vie d’un quartier qui dépérit, pris en tenaille par différentes équipes de narcotrafiquants, dont les « fours » du Moulin de Mai ou de Félix-Pyat font régulièrement l’actualité.
Mais ici, sur les deux écrans placés de chaque côté de l’unique pièce d’une quarantaine de mètres carrés, ce sont les courses de chevaux qui font l’animation. Les plus fidèles des « flambeurs » – surnoms des joueurs – sont arrivés dès la matinée pour éplucher les pages courses hippiques du journal et valider leurs tickets de paris sportifs sur les bornes FDJ et PMU dédiées. Taciturnes, leurs visages sont fermés et les quelques mots échangés avec Dominique, la patronne du « Bar Marius » aux trente-deux années de comptoir, consistent à commander des cafés après les salutations d’usages.
Flambeurs, déserteurs, gros gains et grosses descentes
« Un flambeur ça ne parle pas, explique Jasmine*, tout juste 40 ans et accoudée au comptoir avec dans une main un Orangina. Ça suit 1.000 trucs en même temps et quand c’est fini, il s’en va sans un mot. » Que la journée ait été bonne ou pas d’ailleurs. Peu avant les confinements liés à la pandémie de Covid-19, un joueur a touché le jackpot : 1,3 million d’euros. « Il est parti sans rien dire, l’air de rien. Et on ne l’a jamais revu », se remémore Dominique. « C’était un sans-papiers d’ailleurs », complète la taulière venue de Belgique flamande à Marseille en 1983 alors qu’elle n’avait pas encore 20 ans.
D’autres joueurs connaissent brièvement la fortune avant de sombrer : « il y en a on ne sait pas ce qu’ils deviennent, et d’autres qui deviennent fous », poursuit Dominique avant de donner l’exemple d’un ancien client qui avait touché 80.000 euros et qui fait aujourd’hui la manche plus bas dans le quartier.
Et si les joueurs sont nombreux dans ce bar, ils ne sont pas, loin de là, l’unique clientèle. « Au début je venais y récupérer des colis », renseigne Sébastien, arrivé dans le quartier il y a une dizaine d’années. L’employé des services de la préfecture y a désormais ses habitudes, lui qui reconnecte ainsi avec sa « classe sociale », plus habituée aux comptoirs en zincs qu’aux parquets lustrés des services de l’Etat.
« Tu sais quand tu entres mais jamais quand tu repars »
En matière de décors, le « Bar Marius » est d’ailleurs du genre minimaliste : un comptoir, quelques tabourets, deux tables avec quatre chaises, voilà tout. Un tiers de la pièce et deux autres tables sont occupés par les colis et les bornes de paris. Au milieu de ce chaleureux bazar, une machine à karaoké et deux enceintes. Sur l’une d’elles Boulette, le chat du bar, aime visiblement faire ses griffes entre deux siestes
Au « Bar Marius », la journée est va-et-vient continu. S’y croisent les joueurs, les parieurs, ceux qui viennent récupérer des colis, celles qui viennent boire un café. « C’est comme la Douane ou la Police aux frontières, ce bar. Tu sais quand tu entres mais jamais quand tu repars », revient Jasmine. Et en ce lundi en fin de matinée, entre deux pastis, les clients font des blagues sur les fonctionnaires-planqués-fainéants ou parlent de la loterie organisée par Elon Musk pour pousser à l’élection de Donald Trump. Deux vieux punk hauts en couleurs et en couple tournent leurs cuillères dans leurs cafés.
Pour manger il faudra aller ailleurs, la patronne ayant arrêté la cuisine. Dommage. « Je ne peux plus tout faire à 62 ans. J’ai commencé à travailler à 13 ans et demi comme graveuse. Et de toutes les façons, les gens n’ont plus de sous », constate celle qui ouvre son bar tous les jours entre 7 et 8 heures du matin et le ferme au départ des derniers clients. Qui, ce lundi, auront vu « Liquidateur » a gagné la course de trot à laquelle participait « Amiral Darling » ou encore « Laussac de Buisson ». Tous ici aurait aimé jouer le numéro 11, qui avait une côte à 143 et qui s’est classé 3e. « Si tu avais misé dessus, tu étais bien », regrette un parieur.
L’animation vient aussi de la rue
Et si le « Bar Marius » bouillonne toute la journée, l’animation vient aussi de la rue. Dehors, un camion de déménagement flamand est bloqué dans la ruelle. Une camionnette, garée à la « marseillaise » à cheval sur le trottoir, empêche le passage. Pas de panique, Jasmine connaît le proprio de la camionnette : il est monté à Paris et est dans le train pour redescendre. Coup de téléphone. Un ami a laissé un double de ses clés d’appartement dans sa boîte aux lettres. Un tour au bloc, une main habile et voilà l’appartement ouvert. Les clés de la camionnette en poche, chemin est fait pour les routiers, chanceux de tomber sur Dominique qui parle leur langue et leur offre un café pour patienter. Le propriétaire, lui, s’évite la fourrière et une addition salée.
Bref, heureusement qu’elle est là Dominique et c’est d’ailleurs pour ce service rendu depuis plus de trente ans que le Fooding a glissé son bar parmi les 100 PMU qui comptent en France. Une maigre consolation pour celle qui bosse sans compter et qui, peu avant 16 heures, avant que le bar ne s’anime vraiment avec ses courses prévues jusqu’à 21h30, a tout juste le temps de se confier sur ses joueurs : « on ne va pas se mentir la plupart des joueurs sont d’origines étrangères. Ils vivent comme des clochards ici, à dix dans une pièce avec un sac de riz et du poulet. Les gains ne restent pas en France. Je ne trouve pas ça normale et Marine Le Pen a raison à ce propos… » Ce sera la seule parole un peu politique de la journée : car est telle est la règle au « Bar Marius », comme dans de nombreux PMU de France : « ni religion, ni politique. Ici on flambe, on boit et on laisse tout le reste à la maison », résume la taulière.
*Le prénom a été modifié