Marseille : FO peut-il perdre la main sur la ville

A Marseille, les maires passent (un peu) et Force ouvrière reste. Soixante-dix ans d’un règne sans partage, de Gaston Deferre à Benoît Payan en passant par Jean-Claude Gaudin ou Robert Vigouroux. L’histoire est connue : Gaston Deferre, socialiste et fervent anticommuniste élu en 1953, propulse la jeune branche dissidente de la CGT pour contrer l’influence des « rouges » qui tiennent fermement le port.

Mais d’élections professionnelles en élections professionnelles, le syndicat, régulièrement qualifié de cogestionnaire de la ville, sorte « d’état dans l’état », perd un peu de sa superbe. Au dernier scrutin, il y a quatre ans, il passe pour la première fois sous la barre des 50 %, avec 43,62 % des voix, mais conserve la majorité absolue avec huit des quinze sièges. Qu’en sera-t-il au soir du 8 décembre à l’issue de ces élections organisées sur une semaine ? « Cette année tout risque de basculer », veut croire Ludovic Bedrossian, délégué du personnel CFTC Cfe/Cgc. Seconde du scrutin avec 15,5 % des voix en 2018, son organisation espère progresser encore. Cela d’autant plus que pour la première fois le vote sera électronique pour les 16.000 agents municipaux. « Ça peut nous être favorable, comme on est premier chez les cadres », avance-t-il. « Force ouvrière avait pour habitude d’emmener les gens voter, et bien voter », suggère Ludovic.

Un mode de scrutin qui n’enchante pas Patrick Rué, secrétaire général de FO pour la ville et la métropole. « C’est notre principal sujet d’inquiétude. Ça aurait pu être pas mal, mais en fait c’est très compliqué. On le voit avec des agents qui nous demandent comment ça fonctionne. La fracture numérique est encore réelle. Alors, ceux qui sont déterminés à voter y arriveront, mais ceux qui hésitent lâcheront l’affaire au premier accroc ».

Autre ombre au tableau : quelques affaires « marseillaises » dans lesquelles le syndicat se retrouve éclaboussé. En septembre, 20 Minutes vous racontait les détournements présumés au sein du parc automobile de la ville. En début de semaine, Marsactu révélait des échanges d’argent contre des promesses d’embauches au sein du service de collecte des ordures de la métropole qu’aurait orchestré un militant de FO. Patrick Rué en sourirait presque, tellement il en a l’habitude.

« C’est régulièrement que les infos sortent à trois jours des élections, souffle-t-il. Cette histoire est connue depuis juin. Vous savez, on a 4.000 adhérents, si demain il y en a un qui assassine sa belle-mère, on dira : « c’est FO » ». Etre le syndicat à abattre, voilà trente ans que le dirigeant de FO s’y est accoutumé. « On a connu des campagnes plus dures, plus violentes et plus politiques aussi, avec la CGT dans les années 1990 », se souvient-il.

« La seule question c’est de combien on va gagner »

Lors de son accession à la mairie en 2020, la Printemps Marseillais entendait mettre fin à cette « cogestion ». « Est-ce qu’ils en ont vraiment eu la volonté, interroge Yannis Darieux, délégué FSU à la ville. « Ce qu’on constate, c’est qu’en intersyndicale on est tous réunis, sauf FO, qui veut être reçu à part. Pour nous, il y a toujours cette cogestion et ce copinage. Dans des écoles, des agents me disent qu’un tel monte parce que c’est une copine FO. Il faut comprendre que le syndicat est dans toutes les strates de décisions », poursuit-il. Même son de cloche de côté de la CGT des hôpitaux de Marseille, chez qui FO est majoritaire. « Les agents ont peur et la pression. On n’arrive pas à se sortir de ce problème récurrent avec ce syndicat majoritaire », explique Pascale Jourdan.

« Nous, on demande juste à être considéré à hauteur de ce qu’on représente. On pèse 44 % sur une élection à un tour. Un score à faire pâlir des politiques. On leur rappelle de temps à autre. La nouvelle municipalité a voulu amplifier le dialogue social en laissant la possibilité aux autres syndicats de discuter, mais ils s’en plaignent toujours autant », tacle Patrick Rué. « Et quand les autres syndicats défendent une carrière, c’est du syndicalisme. Quand c’est nous, c’est du copinage ? », répond-il.

Depuis son siège du boulevard d’Athènes, le puissant secrétaire général du syndicat historique de la ville reste confiant à l’orée de ce scrutin qui commence ce jeudi et va durer 8 jours. « La seule question, ce n’est pas de savoir si FO va gagner, mais de combien on va gagner ? ».

Une réponse qui sera donnée à l’issue du vote convoquant les 16.000 agents municipaux. Avec une interrogation supplémentaire : avec cette nouveauté du vote électronique, quel sera le taux de participation, en forte hausse en 2018, avec un peu moins d’un fonctionnaire sur deux s’étant déplacés.