Marseille : Deux physiciens bien naïfs, qui sont les deux chercheurs condamnés pour l’« attaque » du consulat russe ?
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Au tribunal judiciaire de Marseille,
« On avait largement pensé au procédé, mais pas à l’après et mal apprécié l’impact diplomatique », a expliqué, ce jeudi après-midi, G., 59 ans, physiciens et chercheurs au CNRS. Avec son collègue V., 48 ans, ils ont été condamnés par le tribunal de Marseille à huit mois de prison ferme, avec mandat dépôt, pour « l’attaque » à l’aide d’engins explosifs très artisanaux du consulat russe de Marseille, lundi. Une mauvaise appréciation des conséquences diplomatiques qu’ils ne sont pas près d’oublier : tous deux dormiront en prison ces prochains jours jusqu’à l’aménagement de leur peine en détention à domicile.
Pourtant, en misant sur trois bouteilles remplies d’azote liquide, les deux physiciens s’étaient assurés de ne pouvoir blesser personne dans leur volonté « de faire du bruit ». Mais les détonations ont résonné jusqu’aux oreilles du Kremlin, qui, par la voix de son consul de Marseille, présent à l’audience, a répété qu’il considérait cela comme « un acte terroriste ».
Inconnus de la justice
Inconnus de la justice, ces universitaires, ont peiné à revendiquer clairement leur motivation, effrayés par la portée médiatique et diplomatique qu’a pu prendre leur acte, en témoignent les bancs de la presse et du public, pleins pour l’occasion, chose rare pour une banale session de comparution immédiate où défilent d’ordinaire à Marseille petits dealers et voleurs opportunistes.
Face au tribunal, têtes basses et vestes grises, comme leurs cheveux, les deux chercheurs ont toutefois pu décrire leur lien avec l’Ukraine, et leur envie de faire « quelque chose pour marquer le coup des trois ans de la guerre en Ukraine ».
Des liens étroits avec l’Ukraine
V. né de nationalité français et né en Roumanie, a ainsi pu expliquer s’être senti concerné dès le début de l’invasion russe, à la fois par ses origines et pour son inquiétude d’une situation internationale qui se « détériore », notamment avec « les élections américaines qui ne sont pas une bonne chose ».
Celui qui a collé des affiches de soutien à l’Ukraine dès le début de la guerre et participait aux comités de soutiens, s’est aussi dit attristé par « l’attitude du gouvernement russe, qui cultive la désinformation. Je suis tout ça de très près », a-t-il conclu en exprimant ses regrets.
Son complice, G. est quant à lui marié à une Ukrainienne, naturalisée française. « Lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine, mon beau-père, qui vit près de Zaporija, était en vacances chez nous. Il n’a pas pu repartir et dort depuis sur le canapé. C’est une situation difficile », a détaillé le physicien. Et de poursuivre : « Je n’ai rien contre le peuple russe mais contre leur gouvernement ». Une action qu’il qualifie aujourd’hui de « stupide ». « Ma femme m’avait pourtant dit que c’était une très mauvaise idée », regrette le sexagénaire.
D’authentiques pieds nickelés
Entre deux cours sur l’aspect inoffensif de leurs engins artisanaux, à réaction physique (la dilatation gazeuse provoquant l’explosion de la bouteille plastique qui faisait le contenant) et non chimique, les deux prévenus ont également décrit leur rôle respectif.
V. a ainsi lancé une des trois bouteilles de soda contenant de l’azote liquide par-dessus un mur : « Je pensais l’avoir jeté dans le consulat, mais c’était à côté », en l’espèce chez le voisin. G. pour sa part, s’est chargé de lancer les deux autres sur le toit de l’auvent du parking du consulat dont les voitures avaient été déplacées ce jour-là, en prévision de potentielles menaces liées aux trois ans de la guerre.
Aperçus sur la vidéosurveillance du consulat, « repéré sur Google map », les deux chercheurs avaient laissé une de leur voiture personnel dans une avenue voisine, couverte par la vidéosurveillance municipale, ce qui trahira leur identité. Les téléphones avaient été laissés à leur domicile respectif, leurs visages dissimulés par des masques anti-covid et un bandana, leurs mains couvertes pas des gants en latex. « La voiture c’est le côté amateur, et les gants le côté professionnel », s’est risqué à tenter G, face au tribunal.
« Vous êtes finalement au même niveau que beaucoup de délinquants que nous recevons tous les jours ici qui ne mesurent pas les conséquences de leur acte », a tancé le procureur après avoir souligné l’intelligence de ces deux chercheurs. Arrivés libres au tribunal après être sortis de garde à vue la veille, les deux physiciens, soutiens de l’Ukraine, sont repartis de la salle d’audience par la porte qui mène au sous-terrain du tribunal et conduit en prison. Une détention qui sera brève mais qui demeure chère payée, pour deux primo délinquants qui n’ont occasionné ni dégât ni blessé, mais qui ont brisé « le tabou absolu des relations internationales et diplomatiques » que représente la sanctuarisation des ambassades et consulat.