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Marseille : « Content de partir… » Un immeuble pris entre trafic de drogue et insalubrité évacué

Accroupi sur le trottoir, sa casquette solidement enfoncée sur sa tête, Farid fume une cigarette. Debout depuis 7 heures et l’arrivée matinale de dizaines d’agents de police, des services sociaux et de pompiers pour évacuer son immeuble, il attend là, entre une valise à roulette vert kaki et un large sac de déménagement en plastique et à carreau. Sa vie tout entière y est contenue.

Comme Farid, une vingtaine d’autres personnes attendent encore sur ce bout de trottoir le départ d’un bus à destination d’un des quatre gymnases municipal mobilisés par la mairie pour y effectuer, avec les services de l’Etat, une évaluation de la situation individuelle de ces délogés. La ville devra ensuite leur proposer une solution d’hébergement, provisoire ou pérenne.

Entre marchands de sommeil et trafiquants de drogue

Avec leur amoncellement d’affaires rassemblées à la va-vite, ces naufragés d’un mal-logement endémique à certains quartiers de Marseille et entretenu par une misère économique ont des allures de réfugiés. On sauve ce qu’on peut transporter et ce qu’on imagine utile. Ici un radiateur d’appoint posé sur une couverture dans sa housse, là un ventilateur à côté d’un sac de couchage.

– « On est traité comme des clandos », ressent Farid, qui s’enquiert de savoir où il part.

– « On va à La Martine », renseigne un de ses anciens voisins dans la même situation que lui.

– « La Martine ? C’est quartiers nord, ça », répond-il, indifférent, avant de monter quelques minutes plus tard dans le bus. La police municipale ouvre la barrière qui fermait la rue à la circulation ; le conducteur démarre et Farid colle son visage fatigué sur la vitre.

Ils étaient 137 (24 enfants, 83 hommes et 30 femmes) peu avant midi ce mardi matin à avoir été évacués du Gyptis I, un immeuble de propriétés dégradées de 250 logements du 3e arrondissement de Marseille – celui de la Belle-de-Mai – l’un des plus pauvres de France. Au cours de l’opération, les services ont découvert le corps d’un homme, mort visiblement depuis plusieurs jours dans son appartement du 10e et dernier étage.

Evalué à 200 personnes, le décompte exact du nombre de résidents de ce bâtiment constitué d’anciens studios étudiants de 20 à 25 mètres carrés, ne sera connu sans doute que tardivement. Et pour cause : si certains avaient des contrats de location, d’autres payaient à la main leur logeur, propriétaire ou autre. Une autre partie des logements étaient squattés ou occupés par les trafiquants de drogue qui y tenaient un point de vente dans les étages, ajoutant à la violence socio-économique celle des dealers et des conflits entre bandes rivales. En septembre dernier, les fusillades et coups de couteau s’étaient multipliés aux abords et jusqu’à l’intérieur du Gyptis, avec au moins un mort et plusieurs blessés.

« Quand je sortais le soir, mon père me disait de rester dormir chez des amis », explique Ilyes, 20 ans qui partageait avec son père un studio du 10e étage. Etudiant en seconde année de médecine, Ilyes est « content de partir. C’est mieux pour la sécurité » explique-t-il. Il suit ses cours au campus de la Timone, à l’autre bout de la ville. « Ça ne sera pas plus compliqué pour y aller », estime le jeune homme qui attend voir où ils seront relogés. « On a été prévenu il y a 3-4 jours de l’évacuation ». Suffisant pour « louer un box et y stocker nos affaires », poursuit celui qui résidait au Gyptis depuis cinq ans avec un bail des plus légal.

Selon les différents témoignages récoltés, les loyers des studios s’y monnayaient entre 400 et 500 euros. Avec parfois des méthodes d’authentiques marchands de sommeil. « Je payais 250 euros en billet chaque mois », explique Adda, qui partageait l’unique pièce de l’appartement avec un inconnu donnant la même somme. Arrivé d’Algérie il y a tout juste six mois, Adda n’a pas de papiers. « C’est le problème », concède-t-il. « J’ai pensé à partir avant l’évacuation mais pour aller où ? Je ne veux pas redormir dehors », s’inquiète ce maçon qui, comme d’autres sans-papiers de Marseille, trouve ses emplois d’un jour en faisait le pied de grue dès l’aube devant les magasins de matériaux de construction.

Mohamed, un Marocain d’origine de 48 ans, a lui des papiers italiens. Au Gyptis depuis quatre ans et demi, son inquiétude concerne ses meubles. « Une télé, un micro-ondes, un frigo », énumère-t-il. On lui a assuré qu’il pourrait revenir les chercher plus tard, mais il n’y croit pas trop. Les trafiquants, ce travailleur du bâtiment ne veut pas trop en parler. « Je pars au travail le matin, je rentre le soir et reste chez moi. Je reste à ma place », résume-t-il.

Quel avenir pour le Gyptis ?

L’insalubrité de cet immeuble, infesté de punaises de lits, aux parties communes qu’on entrevoit copieusement taguées, aux pontages électriques sauvages et aux fuites d’eau, était devenue franchement dangereuse pour ses résidents. L’an passé, « les pompiers y sont intervenus 66 fois », souvent pour des départs de feu liés aux installations électriques, donne à voir Patrick Amico, adjoint au logement du maire de Marseille venu sur place avec Laurent Carrié, préfet délégué pour l’égalité des chances.

Après plusieurs arrêtés municipaux et préfectoraux de mise en sécurité et de traitement de l’insalubrité laissés lettre morte par le syndic, la mairie avait pris le 16 février un ultime arrêté ordonnant l’évacuation de l’immeuble avant le 6 mars. Peine perdue, les services municipaux et de l’Etat ont dû se substituer aux propriétaires privés pour l’effectuer et un administrateur judiciaire a été désigné pour prendre la place du syndic dans l’immédiat.

Dans la foulée de l’évacuation, les entrées seront murées, et des dispositifs anti-intrusion déployés. Les propriétaires devront alors se décider à engager les lourds travaux nécessaires pour rendre salubre et vivable l’immeuble. A défaut, les pouvoirs publics, via la métropole, pourraient acquérir l’ensemble du bien.