Manifestations en Chine : Plus un ras-le-bol du zéro-Covid qu’un soulèvement contre le régime

La Chine est secouée par une vague de colère. Depuis le 24 novembre dernier, après un incendie mortel survenu dans un immeuble à Urumqi, capitale de la province du Xinjiang (nord-ouest), de nombreux habitants sont dans la rue. Ils protestent dans toute la Chine, et particulièrement dans les grandes villes comme Pékin, Shanghai ou Wuhan, contre les mesures sanitaires drastiques liées à la politique « zéro-Covid ». La stratégie adoptée par le gouvernement chinois mène à des restrictions très strictes, parfois des fermetures de bâtiment, qui, dans le cas de l’incendie, ont empêché les habitants de l’immeuble en feu de s’échapper. Dix sont morts.

Un événement catalyseur d’une rogne de longue date contre ce qui peut s’apparenter parfois à une réelle « dictature sanitaire ». Dans des manifestations d’une ampleur inédite pour l’époque moderne, les protestataires réclament davantage de libertés et la fin de mesures jugées parfois arbitraires. Certains slogans appellent même au départ de Xi Jinping et du Parti communiste chinois (PCC). Toutefois, attention à ne pas projeter notre lecture occidentale sur ce soulèvement populaire. Pour Camille Brugier, chercheuse Chine à l’Irsem (Institut de recherche stratégique de l’École militaire), contactée par 20 Minutes, « on ne peut pas encore interpréter ce mouvement comme une aspiration vers plus de liberté au sens large du terme, comme un mouvement pro-démocratie. C’est plus un ras-le-bol contre la stratégie zéro-Covid et la hausse des prix des denrées alimentaires. »

Ras-les-masques

Le drame d’Urumqi a donc été un élément déclencheur d’une exaspération qui couve depuis plusieurs mois, après près de trois ans de confinements à répétition et de tests PCR quasi-quotidiens de la population. Cette impatience a également été amplifiée par des images qui tournent sur les télévisions du monde entier en moment : les spectateurs agglutinés dans les stades du Qatar à l’occasion du mondial 2022, et de plus sans masque. « La population chinoise a bien vu à travers ces images de supporteurs que la stratégie prônée par le gouvernement chinois contre la pandémie n’est pas aussi efficace qu’il ne le prétend », souligne à 20 Minutes Françoise Nicolas, directrice du centre Asie de l’Ifri (Institut français des relations internationales). Entre les mesures drastiques pour contrer la circulation du virus et l’effondrement de la croissance chinoise qui se répercute sur les prix du quotidien, il y a comme un « contrat tacite qui n’est pas rempli par le régime », illustre Camille Brugier. D’une part, l’efficacité de la stratégie à laquelle se cramponne le PCC et Xi Jinping mise à mal par les images de la situation internationale, et d’autre part la situation économique qui rend plus difficile la redistribution, la population désespère et la grogne monte.

Mais il ne s’agit pas encore d’un mouvement pro-démocratie dans son ensemble, comme l’année 1989 et la révolution de Tiananmen ont pu être le théâtre. Si certaines pancartes, certains slogans, appellent à la démission du président fraîchement réélu pour un troisième mandat ou demandent le retrait du PCC, « ces manifestations traduisent d’abord l’exaspération de la population à l’égard de la stratégie zéro-Covid », prévient Françoise Nicolas. Les manifestations ont bien été rejointes par la population étudiante, qui elle, axe davantage ses revendications sur des aspirations à la démocratie, mais « ce sont deux mouvements différents, aux réclamations différentes et dire que c’est l’ensemble de la population chinoise qui demande la démocratie lors de ces manifestations est trop prématuré », abonde Camille Brugier. Cette révolte peut-elle évoluer dans une révolution plus globale ? Personne ne peut le prévoir et les deux spécialistes appellent à ne pas « prendre nos désirs d’Occidentaux pour la réalité », comme le résume Françoise Nicolas. Autrement dit, il est encore beaucoup trop tôt pour y voir un rejet de Xi Jinping comme leader du pays. « C’est plutôt un rejet du président comme meneur de la stratégie zéro-Covid », ajoute la directrice du centre Asie de l’Ifri.

Une ampleur inédite, pas encore historique

Toujours est-il que ces manifestations, si elles ne sont pas encore historiques, pas encore révolutionnaires, elles revêtent bien un caractère « inédit ». La Chine est habituée à voir des mobilisations. « Il y en a tous les jours », assure Camille Brugier. Mais elles sont principalement locales et portent sur des enjeux très précis comme la fermeture d’une école ou l’implantation d’une usine. Ce week-end, ce que le pays a vécu est beaucoup plus global, beaucoup plus large et touche toutes les couches de la société. « Là, dire clairement  » Xi Jinping dehors « , c’est nouveau », souligne la chercheuse à l’Inserm. « Mais ce n’est pas le slogan unique », nuance François Nicolas.

Pour la suite, « on ne sait pas comment le régime va gérer ces manifestations et combien de temps elles vont durer », ajoute Camille Brugier. D’autant que le pouvoir en place ne semble pas prêt à vouloir laisser la contestation s’exprimer pleinement et librement. Plusieurs arrestations ont eu lieu dans les différentes villes théâtres des rassemblements et le principal organe de sécurité chinois a affirmé qu’il était « nécessaire de réprimer les activités d’infiltration et de sabotage des forces hostiles conformément à la loi ». Soit réprimer les contestataires. Par ailleurs, les rassemblements n’ont pas pu avoir lieu lundi et mardi à cause de la présence policière dans les rues ou de palissades mises en place sur des axes stratégiques.

Le régime dos au mur

A part la répression, le gouvernement utilise une stratégie de communication bien connue des régimes autoritaires, déjà appliquée plusieurs fois en Chine. Cette stratégie consiste à nommer un mal extérieur et donc à dénoncer un complot ourdi à l’étranger, de préférence aux Etats-Unis, pour déstabiliser le pays. Le PCC et Xi Jinping ne semblent en tout cas pas prêts à remettre en question sa gestion de l’épidémie, continuant même de louer sa « réussite », selon le correspondant à Pékin de RFI. Le Parti communiste chinois fait donc la sourde oreille face à cette population à bout de souffle. Pourtant, selon François Nicolas, relâcher certaines mesures sanitaires pourraient mettre fin à la contestation.

Mais Xi Jinping est au pied du mur. Sans assouplissement de la stratégie zéro-Covid, l’exaspération ne risque pas de s’éteindre à coups de confinements et coups de matraques des forces de l’ordre. Mais relâcher les restrictions anti-Covid, c’est s’exposer à une flambée épidémique que le système hospitalier chinois ne serait pas capable de prendre en charge. Le pays risque de voir des taux de mortalité très importants, notamment chez la population âgée. C’est pourquoi aujourd’hui Pékin a décidé d’accélérer la vaccination des personnes âgées contre le Covid-19, notamment les personnes âgées de plus de 80 ans et à continuer d’augmenter le taux de vaccination des personnes âgées de 60 à 79 ans. Seuls 65,8 % des habitants de plus de 80 ans sont pleinement vaccinés, selon des responsables de la Commission nationale de la santé, alors que Pékin n’a toujours pas approuvé les vaccins à ARN, réputés plus efficaces. Ce taux insuffisant de vaccination est l’un des arguments mis en avant par le gouvernement pour justifier sa stricte politique sanitaire. C’est sa seule porte de sortie aujourd’hui pour éviter de remettre en cause sa légitimité sur la gestion du Covid-19, de la stratégie qu’il a défendu bec et ongles depuis presque trois ans. « Il ne peut pas abandonner le zéro-Covid comme ça, cela voudrait dire qu’il s’est trompé depuis trois ans », résume Françoise Nicolas.