France

Mais pourquoi un rapport épingle-t-il le lycée Averroès de Lille ?

Ouvert en 2003, Averroès est devenu, en 2008, le premier lycée musulman sous contrat d’association avec l’Etat français. Alors qu’il accueille aujourd’hui 800 élèves, l’établissement, déjà pointé du doigt pour ses liens avec le fondamentalisme islamiste, souffre d’une situation « financière critique » selon la chambre régionale des comptes (CRC) des Hauts-de-France. Dans son récent rapport, cette CRC épingle également un livre au menu du programme de seconde. 20 Minutes fait le point sur ce rapport encore confidentiel, obtenu par l’AFP après que Le Figaro en a publié des extraits.

Pourquoi la chambre régionale des comptes a-t-elle sorti un rapport ?

Le lycée privé sous contrat Averroès de Lille fait cette semaine l’objet de révélations du Figaro sur des irrégularités dans la gestion financière de l’établissement, pointées par la chambre régionale des comptes (CRC) des Hauts-de-France. Ce rapport fleuve, que Le Figaro a publié ce mardi quelques extraits découle d’inquiétudes et de soupçons concernant la trésorerie fragile et erratique de l’établissement scolaire.

Au début de ce mois de mai, les responsables de la mosquée voisine de Villeneuve-d’Ascq auraient, selon Le Figaro, ainsi été placés en garde à vue, en raison notamment d’un prêt frauduleux accordé par le centre islamique au lycée Averroès. Leur avocat a précisé au Figaro que le prêt, dont une partie n’a jamais été remboursée, visait à renflouer grâce aux dons des fidèles les caisses d’un lycée « abandonné » par la Région. En 2024, un responsable de l’association gérant la mosquée de Villeneuve-d’Ascq sera notamment jugé pour « exercice illégal de la profession de banquier ».

Et en 2020, la majorité régionale emmenée par le patron LR de la région, Xavier Bertrand avait saisi le ministère de l’Education du dossier après la parution du livre Qatar Papers. Les auteurs, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, y faisaient état « de financements étrangers » de cet établissement lillois. Dans la foulée, le lycée avait confirmé avoir reçu un don d’un fonds non gouvernemental qatari, soulignant que cela n’était pas illégal. Face au litige, à la nébuleuse et aux errements, la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France s’est donc penchée en détail sur la gestion du lycée depuis 2010.

Que dit le rapport sur la situation financière du lycée ?

Le rapport du CNR relève « l’étroite proximité » entretenue, depuis ses origines, entre l’association Averroès et l’Union des organisations islamiques de France ainsi qu’un renouvellement insuffisant des membres de son conseil d’administration. La Chambre alerte sur la dégradation de la situation financière, jugée « critique » dans un contexte de « développement accéléré », après le tarissement depuis 2016 de dons venus de l’étranger. Ces derniers se sont élevés à 1,9 million d’euros dont quelque 943.000 euros de l’ONG Qatar Charity, sur un total de dons de près de six millions d’euros perçus par l’association entre 2010 et 2022.

« A compter de l’exercice 2015-2016, les fonds en provenance de l’étranger sont devenus résiduels puis nuls », mais l’établissement reste très dépendant de dons privés, notent les rapporteurs, pour qui le suivi des prêts des particuliers doit être « fiabilisé » et l’identité des donateurs clarifiée. Ainsi, dans ce rapport encore confidentiel, la Chambre souligne que l’établissement, qui obtient presque chaque année les 100 % de réussite au Bac, a construit « une véritable excellence académique », mais émet une série de recommandations en matière de gouvernance et pour une révision du modèle économique. Selon le rapport et nos collègues du Figaro, « la croissance du nombre d’élèves s’est accompagnée d’une gestion non maîtrisée des finances de l’association Averroès ». Pour les magistrats, « l’analyse des bilans de l’association témoigne d’une politique d’investissement difficilement soutenable, et d’une gestion des dettes dépourvue de stratégie de long terme ».

Pourquoi la CRC évoque-t-elle un manquement aux valeurs républicaines ?

Le rapport de la Chambre qui étrille l’établissement musulman évoque également un cours facultatif au contenu salafiste. Ce cours « d’éthique musulmane » est au programme de seconde avec, comme support, un ouvrage édictant des règles à suivre. Entre autres : l’interdiction, sous peine de mort, de l’apostasie (reniement de la foi chrétienne) ou la prééminence de la loi divine. Les valeurs du lycée Averroès, qui prône l’ouverture à tous, peuvent être remises en question, explique les auteurs du rapport.

Et d’ajouter : la présence de ce livre « est de nature à susciter des interrogations relatives à la compatibilité de son contenu avec les valeurs républicaines dont se revendique par ailleurs l’établissement. ». En bref, les magistrats suspectent un « décalage » entre les valeurs républicaines prônées par la direction de l’établissement et l’enseignement dispensé. Ce jeudi, Le Point rappelle qu’en décembre dernier, l’ancien frériste Mohamed Louizi se disait « scandalisé » par les pratiques de l’établissement privé musulman. « On leur apprend les lois de Mahomet et non les lois de la République », écrivait l’essayiste dans une note intitulée L’éthique musulmane dans un nid de vipères – Analyse du programme islamiste du collège-lycée Averroès.

Quelles sont les réactions du lycée et de la Région ?

Dans un communiqué, la direction du lycée Averroès s’est offusquée de la divulgation du rapport, qui ne devait être rendu public qu’à l’issue de la procédure contradictoire en cours. Elle se félicite tout de même que l’enquête des magistrats « dégage l’association de tout soupçon de financement étranger irrégulier », alors que la région bloque régulièrement depuis 2019 le versement du forfait d’externat dû à l’établissement au nom de « soupçons ».

Concernant l’ouvrage pointé du doigt par la Chambre, le président de l’association Averroès a expliqué que ces passages ne figuraient pas parmi ceux étudiés en classe.

De son côté, Xavier Taquet, directeur du cabinet de Xavier Bertrand, a répondu en signifiant que le rapport allait « dans le sens » de la Région. Une Région qui espère encore pouvoir bloquer le prochain versement prévu et assure qu’en cas de nouveau contentieux, le rapport sera « pris en compte » par la justice administrative. Reste que jusqu’ici et à chaque fois, le conseil régional, principal financeur institutionnel de l’établissement devant l’Etat, a finalement dû débloquer ces fonds, désavoué par la justice. Ainsi, en octobre dernier, la Région a été priée de verser plus de 500.000 euros de subventions au lycée privé musulman. Une somme rondelette bloquée début octobre.