France

« Ma maison ressemblait à un tas de cartons »… Jayyed, 10 ans, enfant sans toit parrainé pour « ne pas être oublié »

«C’est grâce à la solidarité que nous sommes là. Sans les associations, nous ne serions pas là aujourd’hui, nous serions morts », lance Lurdes, 40 ans, mère de sept enfants, hébergés dans une école de Lyon. Vendredi dernier, Pietra, une de ses filles, et 36 autres enfants sans toit, ont été parrainés symboliquement lors d’une cérémonie républicaine, organisée par le collectif Jamais Sans Toit et des étudiants de Sciences Po Lyon, dans la mairie du 3e arrondissement.

« C’est une cérémonie symbolique mais sérieuse, et surtout un acte de résistance », lance Juliette Murtin, enseignante et membre du collectif. « L’objectif est de concrétiser le lien de fraternité qui s’est tissé au sein du collectif. C’est aussi un message envoyé à l’État : nous, ces familles, on les accueille, on les reconnaît et on les considère comme des membres de la société à part entière. »

Car l’urgence est là : les écoles vont fermer pour les vacances scolaires, et avec elles, les dernières solutions d’hébergement pour ces dizaines de familles. Les salles de classe, transformées en abris de fortune par des collectifs d’enseignants et de parents, ne seront plus accessibles et des enfants vont de nouveau dormir dehors.

417 enfants sans solution d’hébergement dans la métropole de Lyon

Jayyed, 10 ans, connaît bien cette situation. S’il est aujourd’hui hébergé avec sa famille dans une occupation, il a dormi « plusieurs mois dans la rue ». « Ma maison, c’était un tas de cartons, se souvient-il. J’ai passé plusieurs anniversaires à rêver de pouvoir inviter mes copains pour le célébrer. Mais comment faire sans maison ? Dans ma chambre, sale, qui n’était qu’un bout de carton par terre ? J’ai été tellement traumatisé de vivre dans la rue. Je ne dormais pas. J’avais froid. J’avais peur. »

Aujourd’hui, il est hébergé dans le squat du quai Arloing, à l’abri grâce à l’association Solidarités entre femmes à la rue. Mais pour combien de temps ? « En fait, j’aimerais juste que la préfecture nous trouve une vraie maison, pour qu’on arrête d’avoir peur du futur », lance-t-il. Dormir à la rue, dans des squats ou des écoles… « Ce n’est pas normal pour un enfant !, s’exclame-t-il. Comment je peux faire mes devoirs ? Être concentré ? Jouer ? On a été expulsés tellement de fois, et à chaque fois, c’était très violent. »

Son père raconte la fatigue, l’angoisse, et la honte depuis leur arrivée à Lyon, en 2021. « Voir ses enfants mal dormir, mal manger, c’est terrible, souffle-t-il. On est partis d’Italie en espérant leur donner un avenir meilleur, mais on vit dans la peur. » Pour cette famille, la cérémonie républicaine est une façon de leur dire « bienvenue ». « C’est la première fois que je ressens ça depuis que je suis en France, sourit Jayyed. Nous, mais aussi tous les autres enfants, on se sent moins seul. Ça donne un peu d’espoir. »

Une multiplication par dix des enfants à la rue en trois ans

Depuis 2014 et la création du collectif Jamais Sans Toit, plus de 900 enfants ont dormi dans des établissements scolaires, parfois dans la même salle où ils avaient cours le lendemain matin. « Face à l’inaction des services publics, ce sont les enseignants, les parents et les citoyens qui prennent le relais », explique Juliette Murtin. À Lyon, 60 % des enfants sans toit sont chaque nuit mis à l’abri par le collectif. « On n’a jamais eu autant d’enfants hébergés dans des écoles, poursuit-elle. Mais c’est du bricolage, de l’hébergement d’extrême urgence, c’est tout sauf confortable. »

Actuellement, 417 enfants sont sans solution d’hébergement sur la métropole de Lyon.
Actuellement, 417 enfants sont sans solution d’hébergement sur la métropole de Lyon. - E. Martin / 20 Minutes

Actuellement, 417 enfants sont sans solution d’hébergement sur la métropole. « Il y a trois ans, ils étaient 21 à Lyon. Aujourd’hui, ils sont 200. On assiste à une multiplication par dix du nombre d’enfants à la rue. » Selon elle, ces chiffres records s’expliquent par la fin de la politique du « quoi qu’il en coûte » et par un désengagement de l’État. Depuis septembre 2024, 83 millions d’euros ont été dépensés pour loger temporairement ces enfants. « On n’est pas des travailleurs sociaux, on est des enseignants », rappelle Juliette Murtin. « On est en première ligne face à des situations de misère absolue, on a une conscience qui nous empêche de faire semblant que ça n’existe pas. À l’inverse des services de l’État », ajoute-t-elle.

Un sentiment « humiliant » pour les parents sans hébergement

Certains professeurs accompagnent les familles dans leurs démarches. D’autres partagent les repas, font des dons de vêtements, organisent des collectes. C’est le cas de Marjorie, enseignante et désormais marraine de Pietra. « On veut montrer que toutes ces familles font partie de la République », dit-elle simplement.

Pour Lurdes, cette action, même symbolique, signifie beaucoup. « Pour nous, c’est quelque chose d’importante. Ça nous touche de voir que des personnes se rendent disponibles pour nous. On a l’impression d’exister pour quelqu’un », indique-t-elle, inquiète pour l’avenir de ses enfants. « Pour une mère de famille, c’est très humiliant d’être dans cette situation. On a un sentiment d’incapacité. C’est très difficile. Parfois, les enfants ne peuvent pas se doucher, ne peuvent pas manger. Ce n’est pas une vie de vivre comme ça », appuie-t-elle. « Depuis un an et demi, on a connu la rue, les squats dans des gymnases, des écoles, des églises… Ce sera où la prochaine fois ? Dans un cimetière ? ! Il faut que l’Etat prenne conscience de la situation. Moi j’ai 40 ans, j’ai déjà vécu. Mais mes enfants, ils vont devenir quoi avec tout ce par quoi ils sont déjà passés ? »

Notre dossier sur l’hébergement d’urgence

La cérémonie de vendredi ne règle rien sur le fond. Mais pendant que les pouvoirs publics « refusent de faire appliquer la loi sur le droit à l’hébergement », des citoyens refusent de détourner le regard pour éviter que des enfants se retrouvent, dès demain, sans toit.