Luxe : Bernard Arnault n’en peut plus des taxes en France… LVMH peut-il passer sous pavillon américain ?
Bernard Arnault aurait-il des envies d’ailleurs ? A peine rentré des Etats-Unis, où il a assisté à l’investiture de Donald Trump, le magnat du luxe s’est lancé dans une critique véhémente de son pays natal. « Quand on revient en France et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40 % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! », a déclaré mardi la troisième fortune mondiale. Une menace à peine voilée d’une délocalisation de LVMH, fleuron du luxe aux 82 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Dans le viseur de Bernard Arnault, la surtaxe exceptionnelle d’impôt sur les sociétés faisant plus de 3 milliards de chiffre d’affaires prévue dans le Budget 2025 (pas encore votée), prévue pour une seule année. L’occasion pour le dirigeant, qui parle d’une « taxe Made in France », de re-faire un appel de pied aux Etats-Unis : « Nous sommes fortement sollicités par les autorités américaines à continuer nos implantations d’ateliers et dans l’environnement actuel, c’est quelque chose qu’on regarde sérieusement ».
Le coup de pied des chaussures à Romans
Un tel scénario serait catastrophique pour la France à en croire Aline Pozzo di Borgo, enseignante spécialiste de l’industrie du luxe à l’European Business School Paris. « LVMH emploie 40.000 salariés en France et a une empreinte directe ou indirecte sur 215.000 emplois dans le pays ». La calculatrice continue de chauffer. Le groupe paie à lui seul trois milliards d’euros d’impôts en France – avant même cette fameuse taxe supplémentaire – et pèse 4 % des exportations françaises. Dans un pays obsédé par l’idée de réduire sa balance commerciale, le luxe représente le deuxième secteur excédentaire, poursuit Aline Pozzo di Borgo. Et une délocalisation massive de LVMH pourrait donner des idées, ou du moins « envoyer un signal très négatif », selon l’experte, aux autres géants : L’Oréal, Hermes, Kering…
Aline Pozzo di Borgo ressuscite alors des mémoires Romans-sur-Isère. Dans les années 1970, la ville auvergnate comptait encore 5.000 emplois liés à la chaussure de luxe, employant un salarié sur deux du bassin, fruit d’un savoir-faire centenaire. Mais la mondialisation est passée par là. « Les usines ont fermé les unes après les autres, ne pouvant lutter contre la baisse des coûts à l’étranger », narre la spécialiste.
Patriotisme économique ou suicide commerciale ?
Aline Pozzo di Borgo n’y va pas quatre chemins : « Les patrons qui restent en France sont de sacrés patriotes au vu du coût bien plus élevé de la production ici ». Avant d’admettre qu’il existe une autre raison, moins philanthrope, de rester : le marketing. « Un sac Louis Vuitton qui ne dispose pas du »Made in France » se vendra beaucoup, beaucoup moins bien. »
Pour Yves Hanania, fondateur du cabinet de conseil Lighthouse, spécialisé en stratégie et développement de marque, et coauteur de Le luxe contre-attaque (Dunod, 2022), la donne est claire : « LVMH va rester en France, Bernard Arnault ne peut pas faire autrement ». Aussi sincère soit la colère du milliardaire, « il n’est pas stupide. Délocaliser l’entreprise, ce ne serait pas se tirer une balle dans le pied, mais directement dans la tête de son empire ».
Le pouvoir du « Made in France »
Tout LVMH s’est bâti sur l’imaginaire du savoir-faire français et européen, réputé et reconnu à travers le monde entier, explique le spécialiste. Bernard Arnault n’a donc aucun intérêt à délocaliser ses ateliers loin de cet argument massue. « Sans ce label »Made in France » et ce savoir-faire, on enlève une bonne partie du rêve. Or, le rêve est l’essentiel de la désirabilité et de l’achat dans le luxe », poursuit Yves Hanania. Que François Bayrou et l’économie française se rassurent, « le label »Made in France » est protégé et inimitable, appuie Aline Pozzo di Borgo. Et on n’exporte pas le savoir-faire en quelques années. Cela prendrait au moins des décennies de construire une réputation similaire à celle de la France. »
Bernard Arnault aurait-il tenté un énorme coup de bluff ? « Il a pu vouloir peser dans le débat sur cette surtaxe », imagine Yves Hanania. « Mais jamais il ne mettra ses menaces à exécution. » Qu’un atelier ou deux fleurissent aux Etats-Unis, comme Louis Vuitton et son atelier texan lancé en 2019, peut-être, mais « cela restera des épiphénomènes ».
Beaucoup de bruit au Luxistan, donc, mais probablement aucun tremblement de terre. C’est dans l’air du temps, conclut Yves Hanania : « Donald Trump fait de grandes déclarations, Elon Musk fait de grandes déclarations… Bernard Arnault a décidé d’en faire aussi. » Une communication made in USA, pour le coup.