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Loi Justice : « La justice doit être plus rapide, plus proche, plus protectrice », assure Eric Dupond-Moretti

Un an et demi après le lancement des Etats généraux de la justice, le garde des Sceaux présente ce mercredi, en Conseil des ministres, deux projets de loi qui émanent de cette consultation inédite : l’une de programmation et d’orientation de la justice, l’autre visant à simplifier l’accès à la magistrature. Avec la première, Eric Dupond-Moretti souhaite donner à la justice les moyens « budgétaires et humains » dont elle est privée depuis « trente ans », explique-t-il dans une interview accordée à 20 Minutes.

Le second texte doit, quant à lui, permettre de simplifier l’accès à la magistrature en permettant aux personnes ayant une expérience professionnelle antérieure d’y accéder plus facilement. « Nous allons mettre en place des concours d’excellence. Il n’est pas question une seconde de mettre en place une justice au rabais », assure-t-il.

Quelles sont les particularités des deux textes que vous présentez ce mercredi matin en Conseil des ministres ?

D’abord, ils sont issus pour partie d’une consultation démocratique absolument inédite. Il y a eu un million de contributions citoyennes dans le cadre des états généraux de la justice, menée durant plus d’un an. On a mis en place une méthode de consultation, de concertation qui porte aujourd’hui ses fruits. Ensuite, des réformes de la justice, il y en a déjà eues. Mais celle-ci est adossée à des moyens qui vont permettre une mise en œuvre de ces mesures annoncées. C’est la première fois.

Nous sommes partis d’un double constat. Le premier, c’est que la justice a connu trente ans d’abandon budgétaire et humain. Le deuxième, c’est que les Français nous disent que la justice est trop lente et trop complexe. Les professionnels, eux, dénoncent le manque de moyen et la mauvaise organisation. On veut donc intervenir pour que la justice soit plus rapide, plus proche, plus protectrice.

Mon objectif, c’est notamment de diviser d’ici à 2027 les délais par deux. Nous avons commencé à le faire, les dossiers en souffrance en matière familiale ont diminué de 30 %. Nous voulons mettre en place une justice de la médiation, de l’amiable. Le but, c’est que le justiciable se sente au cœur de la décision qui le concerne.

Vous parlez d’une hausse historique des moyens alloués à la justice. N’est-ce pas un peu de la vantardise ?

Non, c’est une réalité. A la fin du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, le budget de la justice aura augmenté de 60 %. Et d’ici à 2027, nous allons réaliser 7,5 milliards d’euros d’investissement supplémentaires. Par comparaison, sous François Hollande, c’était 2,1 milliards d’euros ; et sous Nicolas Sarkozy, 2 milliards d’euros. Grâce à ces sommes, nous allons massivement recruter : 10.000 personnels supplémentaires, 1.500 magistrats – autant que durant les vingt dernières années – 1.500 greffiers.

Mais aussi des contractuels qui vont aider les magistrats dans leurs taches quotidiennes. Nous allons créer autour du magistrat une équipe opérationnelle avec des contractuels, appelés désormais des attachés de justice, qui vont être cdisés. Ils recevront une formation à l’École nationale de la magistrature (ENM) et prêteront serment pour être pleinement intégrés dans la communauté judiciaire.

J’ai aussi souhaité prendre plusieurs mesures sociales. Pour récompenser les magistrats de leur investissement total, j’ai décidé une augmentation salariale de l’ordre de 1.000 euros. Ils n’avaient pas été revalorisés depuis 1996. J’ai aussi augmenté les greffiers de 12 %. Et, d’ici l’automne, je prendrai des mesures nouvelles qui vont dans le même sens. J’ai également répondu à une revendication portée par le personnel pénitentiaire depuis vingt ans, à savoir le changement de catégorie, qui leur permet une évolution plus favorable de leur carrière et des ajustements salariaux.

Vous prévoyez notamment, dans ce projet de loi, la construction de 15.000 places de prison supplémentaires. Est-ce assez pour endiguer la surpopulation carcérale, laquelle atteint des records ?

Dix nouveaux établissements pénitentiaires ouvriront leurs portes d’ici la fin de l’année. La moitié seront opérationnels en 2024. Naturellement, nous aurons besoin d’embaucher pour faire tourner ces établissements, c’est pourquoi j’ai revalorisé le statut des agents pénitentiaires pour renforcer l’attractivité de leur métier, indispensable à notre République. Construire des prisons, c’est effectivement un levier pour lutter contre la surpopulation carcérale. Mais il y a d’autres raisons qui justifient cela : la dignité de la détention, la dignité des conditions de travail des personnels, leur assurer davantage de sécurité… Le texte que je vais porter prévoit d’ailleurs le port d’une caméra par les agents de l’administration pénitentiaire.

Mais il existe d’autres leviers pour lutter contre la surpopulation carcérale : le développement du travail d’intérêt général chaque fois que c’est possible, éviter les libérations sèches qui sont génératrices de récidives… J’ajoute que la surpopulation carcérale est la démonstration que la justice de notre pays n’est pas laxiste, contrairement à ce que certains se plaisent à dire. Tous les chiffres le démontrent.

Le projet de loi organique, lui, prévoit d’ouvrir les voies d’accès à la magistrature aux personnes ayant une expérience professionnelle antérieure. Une mesure qui a fait l’objet de critiques de la part du Conseil supérieur de la magistrature (CSM)…

J’ai souhaité, alors que je n’étais pas obligé de le faire, transmettre les textes au CSM pour avis. Il est globalement positif. Ils ont exprimé, dans la liberté qui est la leur et que je respecte, un certain nombre de ce que vous qualifiez de critiques. Mais je veux les rassurer totalement. Nous allons mettre en place des concours d’excellence. Il n’est pas question une seconde de mettre en place une justice au rabais. A quoi cela servirait-il, franchement, d’avoir davantage de magistrats s’ils n’ont pas les qualités professionnelles qu’on espère d’eux ? C’est davantage une richesse qu’une difficulté.

Quand ces textes seront-ils examinés par le Parlement ? L’ambiance a été un peu électrique ces derniers temps, notamment à l’Assemblée. Appréhendez-vous ce passage ?

Avant l’été, tous les textes, législatifs et réglementaires, seront prêts. Il y aura eu une première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ce ne sont pas des textes de clivages. Qui va avoir l’envie de dire que la justice ne doit pas avoir de moyens supplémentaires ? Qui va avoir l’envie de dire que la justice ne doit pas être plus protectrice et plus rapide ? Il y aura des débats au Parlement. C’est un lieu de débat, et j’aime le débat.