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Ligue 1 : « Le Chaudron ne se dissout pas »… Comme à l’ASSE, les groupes ultras tous menacés par Bruno Retailleau ?

Le jour de premier grand oral est venu pour les kops stéphanois ? Les Magic Fans et les Green Angels, les deux seuls groupes ultras du football français officiellement visés par une procédure de dissolution de la part du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, organisent ce samedi « une manifestation familiale et festive ». Sept heures avant le coup d’envoi du choc de Ligue 1 contre le PSG, le rendez-vous est fixé à midi place Jean-Jaurès, dans le centre-ville de Saint-Etienne. Au menu : « le Chaudron ne se dissout pas » et « #TouchePasÀMesKops ». Il s’agit à la fois d’affiches accrochées de partout et de refrains martelés toute la semaine dans le Forez par des (anciens) joueurs comme par des commerçants de Sainté, venus massivement au soutien des deux principaux groupes de supporteurs de l’ASSE.

Une échéance clé quant à la procédure de dissolution suivra après cette 27e journée de Ligue 1, avec le passage des Magic Fans et des Green Angels place Beauvau, le mardi 1er avril, devant la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives. Un éventuel décret de Bruno Retailleau en Conseil des ministres pourrait suivre, dès le 2 ou le 9 avril, et les deux groupes stéphanois seraient prêts à multiplier les recours en cas de dissolution, que ça soit devant le Conseil d’Etat et la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Le cauchemardesque ASSE-Auxerre pèse lourd

Mais pourquoi au juste le couperet pourrait-il tomber en ce début de printemps sur les deux soutiens les plus populaires (environ 1.800 et 900 membres) de l’actuel 17e de L1, pourtant loin des incidents majeurs ayant eu lieu cette saison ? « Il y a eu une première phase d’incompréhension, a reconnu Tom, porte-parole des Green Angels, lundi au micro d’ici Saint-Etienne Loire. Concrètement, sans faire de victimisation, il y a neuf faits de violences ou de dégradations qui nous sont reprochés en trois ans, dont certains citent des personnes qui n’ont jamais été membres de notre organisation. »

D’après les Green Angels, la majeure partie de ce « dossier à charge » fait référence au 29 mai 2022, soir d’un ahurissant envahissement de terrain couplé à de dangereuses projections de pyrotechnie en direction d’une tribune du stade Geoffroy-Guichard, quelques secondes après le barrage perdu contre Auxerre (1-1, 4-5 aux tirs au but). Outre la relégation sportive en Ligue 2, l’ASSE avait dans la foulée été sanctionnée par la commission de discipline de la LFP de trois points et de quatre matchs ferme à huis clos. Près de trois ans plus tard, et alors qu’une bagarre dans les tribunes de Rodez en août 2023 apparaît aussi dans le dossier, une double peine risque de tomber.

Le souhait de Bruno Retailleau de « lutter contre les violences en marge du football » pourrait donc être fatal aux deux groupes stéphanois, âgés de 34 et 33 ans. Membre de l’Instance nationale du supportérisme (INS), Nicolas Hourcade a vu le cabinet du ministre de l’Intérieur zapper, le 6 mars dernier, une réunion plénière de l’instance. Avant d’apprendre dès le lendemain, par voie de presse, que la dissolution de groupes de supporteurs était bel et bien lancée.

Boulogne encore plus « radicalisée » avec la dissolution

« Il n’y a aucune transparence ni aucune information fiable sur ces sujets-là de la part du ministère de l’Intérieur, qui est clairement fermé au dialogue, regrette le sociologue à l’Ecole Centrale de Lyon, spécialiste du supportérisme. On ne comprend pas trop ni le timing, ni le choix de ces deux groupes plutôt que d’autres, comme la bande de hooligans des Offender à Strasbourg qui ne semble plus menacée. Une dissolution a une grande portée symbolique et donne l’impression qu’on agit de manière vigoureuse, ce qui est l’image que veut renvoyer Bruno Retailleau. »

Inscrit dans la loi par Nicolas Sarkozy en 2006, le dispositif de dissolution des associations de supporteurs a jusque-là connu des fortunes diverses. « La première dissolution forte est celle des Boulogne Boys du PSG en 2008, après la banderole anti-Ch’tis, souligne Nicolas Hourcade. Avec le recul historique, on constate que cette dissolution a eu des effets négatifs. C’était le seul groupe ultra dans une tribune comprenant plusieurs bandes de hooligans. La dissolution des Boulogne Boys a déstabilisé la tribune Boulogne et a contribué à la radicaliser encore plus. Le conflit entre Boulogne et Auteuil s’est ensuite amplifié, avec une hausse des incidents graves. »

Et même la mort d’un supporteur de la tribune Boulogne, Yann Lorence (37 ans), après avoir été lynché aux abords du Parc des Princes en février 2010. Un drame qui a conduit au fameux plan Leproux, du nom du président du PSG de 2009 à 2011.

« Le club s’oppose fermement à cette mesure »

« C’est un plan coordonné entre le ministère de l’Intérieur et le PSG avec plusieurs types de mesures, dont la dissolution de deux bandes de hooligans de Boulogne et de deux associations ultras d’Auteuil, précise Nicolas Hourcade. Mais il y a aussi à ce moment-là une augmentation très forte du nombre d’interdictions individuelles de stade et un changement des conditions d’attribution des billets au Parc des Princes. Ce plan Leproux a su faire baisser les incidents. Mais il a nécessité une très forte mobilisation policière pour assurer la sécurité autour du Parc des Princes. Et puis ces dissolutions s’inscrivent dans un plan global : elles sont en effet soutenues par le club et elles s’accompagnent d’interdictions individuelles de stade. »

Deux conditions qui ne seraient pas du tout effectives dans le cas de l’AS Saint-Etienne en 2025, puisqu’il n’est question que de deux supporteurs des Verts faisant actuellement l’objet d’interdiction administrative de stade. Quant à la position de la nouvelle direction de l’ASSE sur le sujet, elle est on ne peut plus claire depuis un communiqué publié le 16 mars.

Le nouveau président stéphanois Ivan Gazidis, ici lors de sa conférence de presse de présentation en juin 2024.
Le nouveau président stéphanois Ivan Gazidis, ici lors de sa conférence de presse de présentation en juin 2024. - O.Chassignole / AFP

« Le club s’oppose fermement à cette mesure, la jugeant disproportionnée et inefficace pour lutter contre la violence et les discriminations dans les stades, annonce le président Ivan Gazidis, qui pourrait se joindre à la manifestation ce samedi. La dissolution proposée compromet le dialogue établi et les progrès réalisés avec les groupes de supporteurs. En outre, elle soulève des préoccupations concernant la sécurité des spectateurs dans le futur. » Des « préoccupations » que Bruno Retailleau a bien prises en compte en lançant cette procédure envers et contre tous ?

« Il semble y avoir une déconnexion du cabinet du ministre de l’Intérieur par rapport à la réalité des tribunes françaises. Je pense qu’il ne se rend pas bien compte de ce que représentent les Green Angels et les Magic Fans à Saint-Etienne, de leur ancrage dans la ville au-delà même du Chaudron. Il s’attaque à plus que des groupes de supporteurs, d’où le soutien du club et la mobilisation des acteurs politiques locaux. »

« Aucun effet majeur » à Lyon et à Nice

Concrètement, vers quoi tendraient nos tribunes si les deux groupes ultras stéphanois, puis potentiellement d’autres à l’avenir, étaient rayés de la carte ? « La dissolution empêche le groupe d’animer le stade, d’organiser des déplacements et de se rassembler, sinon ses anciens responsables risquent d’être poursuivis, liste Nicolas Hourcade. Mais ça n’empêche pas ceux qui en étaient membres d’aller au stade. S’il y a parmi eux des individus violents, ils peuvent continuer à être violents, d’autant qu’il n’y aura plus la force régulatrice du groupe, qui peut à certains moments limiter les désordres. »

Outre les Boulogne Boys, les précédentes dissolutions majeures dans le football français n’ont eu en 2010 « aucun effet majeur », qu’il s’agisse de la Cosa Nostra, devenue les Lyon 1950 à Gerland, ou de la Brigade Sud, désormais les Ultras Populaire Sud à Nice. Ministre des Sports pendant trois mois, Gil Avérous a affirmé avec fermeté son opposition aux dissolutions sur ici lundi.

Ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau est depuis plusieurs semaines sur l'épineux dossier de la dissolution des groupes ultras stéphanois.
Ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau est depuis plusieurs semaines sur l’épineux dossier de la dissolution des groupes ultras stéphanois.  - M. Chang / SIPA

« Il ne faut en aucun cas prendre des mesures collectives parce que c’est injuste et que ça va nous amener à perdre nos interlocuteurs dans les stades. On a besoin, quand on prépare un match, de pouvoir savoir combien on va avoir de supporteurs sur un déplacement, de savoir s’il y a des banderoles, d’anticiper tous les risques qui pourraient survenir au cours d’un match. Si vous n’avez pas une association constituée avec un responsable identifié, vous ne pouvez pas avoir ces informations-là. C’est vraiment la mauvaise idée. » Si celle-ci se matérialise en Conseil des ministres, dans quel mood seront toutes les associations de supporteurs françaises ?

« Si des dissolutions sont prononcées sans qu’elles paraissent adaptées à la situation des groupes concernés, on peut entrer dans une période extrêmement troublée puisque dans leur communiqué commun auprès de l’Association nationale des supporteurs (ANS), plus de 160 groupes ont menacé de s’auto-dissoudre. Cela ferait disparaître tous les interlocuteurs. Au lieu de mener une réflexion collective avec toutes les parties prenantes pour apaiser les tensions dans les tribunes françaises, les problèmes sont gérés en permanence par des rapports de force. »

« Pas que Timothée Chalamet qui est fan des Verts »

Et l’actuelle « levée de boucliers footballistique et politique », qui pourrait inciter Bruno Retailleau à privilégier « une suspension des groupes pour quelques mois », est aussi symbolisée par la pétition lancée mercredi sur Change par le site Poteaux Carrés. Celle-ci a déjà été signée par plus de 4.330 personnes. « C’est la passion d’une ville, du peuple vert et de tous les amoureux du football que l’on attaque. Mobilisons-nous et montrons l’opposition populaire au décret que menace de prendre M.Retailleau dès le 2 avril », indique le texte qui accompagne cette pétition.

Notre dossier sur la Ligue 1

Même Laurent Wauquiez, en pleine campagne pour la présidence du parti Les Républicains… face à Bruno Retailleau, a glissé une punchline sur le sujet, mercredi à Feurs (Loire) : « Il n’y a pas que Timothée Chalamet qui est fan des Verts ». Et si la sortie d’impasse venait finalement d’une visioconférence au sommet entre le ministre de l’Intérieur et le comédien star autant attaché à L.A. et New York qu’au Chambon-sur-Lignon ?