France

L’exploser, le remorquer… Que peut-on faire face au plus grand iceberg du monde qui menace une île britannique ?

Présenté à la hollywoodienne, le scénario d’une probable collision entre le plus gros iceberg du monde et l’île britannique de Géorgie du Sud a toutes les chances de faire un bon film catastrophe comme on les aime. Et nul doute que dans ce blockbuster, les têtes plus gradées que pensantes du Pentagone chercheraient un moyen d’éviter le pire et qu’il reviendrait à The Rock, Bruce Willis ou Tom Cruise de faire le job. Et dans la vraie vie, ça dit quoi ? On a posé la question à Jean Krug, romancier glaciologue et réciproquement.

L’iceberg en question s’appelle A23a, baptisé ainsi depuis qu’il s’est détaché de l’Antarctique en 1986. « Comme il fait jusqu’à 400 m d’épaisseur, il était resté bloqué sur des hauts-fonds pendant tout ce temps, jusqu’à ce qu’il fonde assez pour se remettre à dériver », explique le spécialiste. Poussé par le courant circumpolaire, A23a est sorti de la péninsule Antarctique et dérive dans ce que l’on appelle le « couloir des icebergs » qui mène droit vers la Géorgie du Sud.

Selon l’Agence spatiale européenne (ESA), qui surveille les déplacements des icebergs, A23a a une superficie de « 4.000 km2, soit plus de quatre fois la taille de la ville de New York, et environ 400 m d’épaisseur ». Une belle bête qui se trouve aujourd’hui à moins de 300 km de la Géorgie du Sud. « En fonction des courants dans ce secteur, sa vitesse doit être de 5 à 10 km par jour, donc il reste un peu de temps et différents scénarios possibles », note le glaciologue.

Peut-on envisager de l’exploser façon puzzle ?

Au cinéma, si John McLane appuyait sur le bouton, easy baby. Dans la réalité, c’est sans doute matériellement impossible. On a donc demandé à ChatGPT combien d’énergie (en équivalent TNT) serait nécessaire pour fragmenter ou faire fondre un iceberg de 4.000 km2 sur 400 m d’épaisseur. Pour l’éparpiller, il faudrait 1.190 mégatonnes de TNT, soit 127 millions de fois la puissance de la bombe de Hiroshima. Et pour le faire fondre, 118.000 mégatonnes de TNT, soit près de huit milliards de « Little boy ».

« En pratique, je ne sais pas ce qu’il se passerait si un dirigeant politique décidait de lancer un missile sur cet iceberg, reconnaît Jean Krug. Il y a de toute façon le traité de l’Antarctique qui empêche toute intervention militaire dans cette zone. »

Et si on tentait de le remorquer avec un bateau ?

Aux Etats-Unis, ils s’amusent bien à déplacer d’immenses maisons en les chargeant sur des remorques, alors pourquoi pas tracter un iceberg ? « Il y a des projets qui ont été lancés il y a une quinzaine d’années, notamment par Dassault, pour approvisionner certains endroits en eau potable », se rappelle l’expert. Des navires devaient ainsi remorquer des icebergs à l’aide de filets fixés autour, sauf que « ça n’a jamais abouti tellement c’était compliqué à mettre en œuvre ».

Et l’idée ne concernait que de plus petits icebergs, pas un mastodonte comme l’A23a dont le bord est constitué « d’une falaise de 40 m de haut qui s’étend à perte de vue ». En plaisantant, il ajoute que « ce serait comme essayer de tracter la Corse avec un remorqueur ».

Doit-on laisser mourir les petits manchots qui habitent l’île ?

Comme la Géorgie du Sud est située sur la route des icebergs, des scénarios similaires à celui de l’A23a se sont déjà présentés, « dans les années 2020, avec l’A68a, qui était de surface équivalente », assure le glaciologue. Il s’était finalement disloqué en une quinzaine de fragments et n’avait jamais percuté l’île.

« Les icebergs gardent une grande partie de leur intégrité tant qu’ils restent dans l’océan Austral, mais dès qu’ils franchissent le front polaire, ils se retrouvent dans des eaux plus chaudes et ils vont fondre très rapidement », détaille Jean Krug. Pour lui, « au regard de la trajectoire de tous les icebergs », il peut « se passer probablement la même chose pour l’A23a que pour l’A68a ». La nature est donc la meilleure alliée des petits manchots face à la menace A23a.