« Les trois quarts des petites maternités ont disparu »… Pourquoi autant de bébés meurent-ils en France ?

En moyenne en France, sur 1.000 naissances, 4,1 conduiront au décès du nourrisson dans la première année de sa vie. Un chiffre en hausse qui classe l’Hexagone en haut de l’échelle européenne concernant le taux de mortalité infantile. Comment expliquer que chaque année, 2.800 bébés ne souffleront jamais leur première bougie ? Que 70 % de ces décès infantiles aient lieu dès la maternité ?
Les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin ont tenté de comprendre. Ils publient ce jeudi 4,1 Le scandale des accouchements en France (Editions Buchet-Chastel) et partagent leurs pistes à 20 Minutes.
Les autorités justifient la hausse de la mortalité infantile par des critères économiques et sociaux comme la hausse de la précarité, de l’obésité et du tabagisme chez les femmes. Approuvez-vous cette analyse ?
S.L. : Ce qui nous gêne, c’est que ces facteurs, qui existent, ont été présentés comme des causes uniques de la hausse de la mortalité infantile. Ce qui nous a paru un peu troublant – pour ne pas dire insupportable – c’est cette espèce de culpabilisation des femmes. Mais l’obésité, voire la précarité dans certains pays, augmente aussi chez nos voisins européens. Pourtant, tous les autres Etats ont une mortalité infantile qui diminue. C’est en comprenant cela que l’on a voulu faire cette enquête.
Selon vous, il s’agit surtout de choix politiques et financiers. Vous parlez par exemple de la PMI, la protection maternelle et infantile. Quel constat avez-vous fait ?
A.C. : En Seine-Saint-Denis, il y a un taux de mortalité infantile fort et un taux de pauvreté élevé. On a donc été constater dans ce département l’état des PMI, qui sont là pour assurer une sécurité auprès des publics les plus fragiles, en leur faisant bénéficier gratuitement d’un suivi, de conseils et de visites à domicile.
On a constaté que ses financements étaient de moins en moins importants et que son personnel avait de plus en plus de mal à suivre toutes les femmes qu’il faudrait accompagner. Les sages-femmes doivent souvent les trier, en privilégiant par exemple les grossesses de mineurs ou celles tardives. « On rate des femmes », nous ont dit des sages-femmes.
Vous évoquez aussi « la rentabilité à tout prix » des maternités, avec la fermeture des plus petites. En quoi cela pourrait-il expliquer la mortalité infantile ?
S.L. : Les trois quarts des petites maternités ont disparu depuis 1975. Aujourd’hui, 900.000 femmes en âge de procréer vivent à plus de 30 minutes d’une maternité. Et la part de celles qui habitent à plus de 45 minutes a augmenté de 40 % depuis 2000. Or, c’est justement depuis les années 2000 qu’on a une dégradation en France. On ne dit pas qu’il y a un lien de cause à effet implacable, mais on l’interroge. D’autant plus qu’une étude montre qu’un trajet supérieur à 45 minutes entre le domicile et la maternité multiplie par deux le taux de mortalité périnatale.
Et cela revient beaucoup dans la bouche des soignants. Une sage-femme de Cahors, dans le Lot, nous a raconté qu’une mère avec un hématome rétroplacentaire était arrivée trop tard à la maternité parce qu’elle habitait trop loin. Si elle avait été prise à temps, son bébé serait encore vivant. Elle nous a clairement dit : « chez nous, la distance est une perte de chance ».
Beaucoup de médecins justifient ces fermetures par le fait que, faute d’accouchements suffisamment nombreux, les soignants perdraient en technicité, ce qui augmenterait le risque de mortalité. Alors comment faire ?
A.C. : On ne remet pas en cause le fait que les petites maternités dans lesquels il y a trop peu d’accouchements peuvent être dangereuses. Ce constat a été dressé dès les années 1970, et la fermeture de plusieurs d’entre elles a permis une baisse du taux de décès.
Mais on est peut-être allé un peu trop loin dans la logique. En 1988, ils ont mis en place la barre des 300 accouchements par an pour maintenir une maternité ouverte, sans se poser la question de ce que ça allait donner dans 10, 15 ou 20 ans. Ils n’ont pas planifié ni mis en place un maillage territorial permettant aux femmes d’allier sécurité et proximité.
A contrario, les grosses maternités très bien équipées ne sont pas non plus épargnées par ces cas de mortalité infantile. Comment l’expliquez-vous ?
S.L. : Sur le papier, les maternités de niveau 3 sont parées pour faire face à toutes les hypothèses compliquées. Et c’est vrai qu’en cas de complications graves, mieux vaut être dans une maternité de niveau 3 que de niveau 1. Mais du fait des cadences pratiquées dans ces grandes maternités, les femmes ne sont pas totalement à l’abri non plus d’une erreur médicale. Une sage-femme doit s’occuper de 4, 5, 6 femmes en même temps tout en surveillant le rythme cardiaque des bébés à naître. Parfois, il arrive qu’elle rate des signes avant-coureurs.
Qu’attendez-vous avec la publication de votre livre ?
S.L. : On espère qu’avec la médiatisation, des acteurs vont s’emparer du sujet et mettre en place un certain nombre de mesures. La première d’entre elles, ce serait de créer un registre national de décès * – qui n’existe pas en France – mais qui permettrait de mieux comprendre les raisons des décès infantiles.
Il faudrait aussi mettre en place un grand plan national visant à améliorer la santé périnatale. C’est une urgence de santé publique. Dans notre société, on parle beaucoup de la fin de vie, mais le début de la vie est le grand oublié.
* Ce registre permettrait d’avoir, pour chaque décès infantile, l’âge de la grossesse à l’accouchement, le poids de naissance, les conditions socio-économiques, l’obésité éventuelle de la mère, son tabagisme, les conditions d’accouchement, par césarienne ou par voie naturelle, etc.