France

« Les spectateurs veulent être surpris et émus »… Comment remplir les salles de ciné à la rentrée ?

On aurait pu penser que les épisodes caniculaires de cet été encouragent le public à venir profiter de la clim’ dans les salles de cinéma. Mais les Français ont préféré transpirer à grosses gouttes plutôt que de payer 10 euros pour voir un film sans intérêt. Heureusement, le festival du film Francophone qui se déroule actuellement à Angoulême a mis du baume au cœur à une profession cinématographique fort éprouvée par un été catastrophique. Dans les œuvres de cinéastes français, le Dracula de Luc Besson et la comédie Y a pas de réseau d’Edouard Pluvieux ont seuls tenu leur rang dans un box-office morose avec leurs près de 600.000 spectateurs chacun.

« On ne peut pas donner une seule explication, déclare Hélène Germain, directrice marketing chez Pan Distribution qui a sorti Un p’tit truc en plus. Il serait trop facile de pointer les plateformes ou le prix des places comme seule cause au manque de spectateurs, mais il n’existe pas de science exacte dans ce domaine ». Le triomphe du film d’Artus était imprévisible tout comme l’absence du public en juillet et août 2025.

L’offre et la demande

« Je pense qu’il s’agit qu’une question d’offre, martèle François Clerc, président d’Apollo Films. Sortons de bons films et les gens auront envie d’aller les voir ! » Il tempère ensuite son propos. « On ne peut pas dire aujourd’hui que le prix des places n’entre pas aussi en ligne de compte, précise-t-il. Les gens se serrent la ceinture dans tous les domaines ». Ce qui a manqué cet été, ce sont des locomotives, produits d’appel qui donnent l’habitude d’aller au cinéma. En 2024, Le Comte de Monte Cristo de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière avait rempli cette fonction. Il n’y avait pas non plus de blockbusters américains alléchants comme Oppenheimer de Christopher Nolan et Barbie de Greta Gerwig, stars de 2024.

« Les films de l’été ne me tentaient pas, reconnaît Frédérique, cinéphile d’Angoulême qui suit les festivals avec son jeune fils. Je n’ai rien trouvé d’assez motivant pour me déplacer ». Cette enseignante mère de famille n’est pas la seule à nous confier cette conclusion. Plusieurs spectateurs du festival nous ont répondu la même chose, de l’étudiante au retraité pourtant amoureux du 7e Art !

Inverser la tendance

Alors que faut-il faire pour inverser la tendance. « Il faut déjà rappeler au public que le cinéma est une expérience collective, insiste l’actrice et réalisatrice Isabelle Carré. On ne vit pas un film de la même façon au cinéma et dans son salon. On respire ensemble et on vibre ensemble et puis c’est un lieu idéal pour draguer et ça, c’est un excellent argument pour y aller ». L’humour d’Isabelle Carré cache l’angoisse de l’artiste qui connaît l’importance du public. « Quand on joue au théâtre, on ne se dit jamais qu’on a été bon après le spectacle, ce sont les spectateurs dont on commente les réactions. Au cinéma aussi, ce sont auxquels on pense ». Ce qu’elle a fait pour l’émouvant Les Rêveurs, très bien reçu à Angoulême.

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La cinéaste Catherine Corsini (La Fracture) va plus loin. Il serait judicieux, selon elle, de modifier la perception que le public a du cinéma. « Il faudrait arrêter d’opposer cinéma populaire et film d’auteur supposés élitistes, insiste-t-elle. Si on aborde des thèmes forts qui parlent à tout le monde, le public se sentira concerné et aura envie de venir ». Ce qu’on appelle « les films du milieu », films d’auteur grand public au budget modéré comme La Nuit du 12 de Dominik Moll ou Vingt dieux de Louise Courvoisier correspondent à cette description.

Surpendre plutôt que copier

« Il est temps de se montrer ambitieux, clame le producteur Nicolas Dumont, présent à Angoulême avec l’excellent Les Enfants vont bien de Nathan Ambrosini. C’est seulement ainsi qu’on redonnera envie mais les films considérés comme risqués sont difficiles à financer. Je suis pourtant persuadé qu’il faut produire de la qualité sans tenter d’imaginer ce que veut voir le public ». Hugues Peysson, président de l’Atelier d’images, venu présenter l’émouvant Muganga de Marie-Hélène Roux, partage son point de vue. « Les spectateurs veulent être surpris et émus, répéter les mêmes choses à l’infini ne fonctionne plus. Il est impossible de prédire ce qu’ils ont envie de voir pour la bonne raison qu’ils ne le savent pas eux-mêmes », dit-il.

Bien des choses sont donc à repenser dans la façon de concevoir le 7e art et sa distribution. « Je crois que la profession doit se réinventer au lieu de refuser de se remettre en question comme elle le fait aujourd’hui, conclut le réalisateur Thierry Klifa dont le réjouissant La Femme la plus riche du monde a fait l’ouverture d’Angoulême. On ne peut nier que la façon de consommer le cinéma a changé et il faut prendre cela en compte pour se réinventer ».