France

Les personnes âgées bénéficient-elles d’un traitement de faveur devant la justice ?

Il faut que vieillesse se passe. Jeudi dernier, une femme est morte à Ronchin, près de Lille, écrasée volontairement par l’automobiliste qui venait d’emboutir sa voiture. Un fait divers dont le retentissement médiatique est largement lié à l’âge avancé de la mise en cause : 86 ans. Interpellée, l’octogénaire a été placée en garde à vue puis mise en examen pour « homicide volontaire » et relâchée sous contrôle judiciaire. Une libération qui a scandalisé de nombreux internautes criant à l’injustice sur les réseaux sociaux. Au regard de cette affaire, 20 Minutes a voulu savoir si effectivement les aînés justiciables bénéficiaient d’une justice plus clémente.

Magistrats, avocats, administration pénitentiaire, tous s’accordent à dire que, dans les textes, aucune distinction n’est faite entre les justiciables en raison de leur âge. Dans les faits, cela existe néanmoins. « L’âge n’est pas un critère énoncé par le Code de procédure pénale comme devant être pris en compte, par exemple dans la décision de placement sous contrôle judiciaire », assure François Perrain, procureur général de la cour d’Appel de Metz. Il ajoute cependant que « dans la pratique, c’est un élément pris en compte ». Un autre magistrat, qui préfère rester anonyme, abonde dans son sens : « Notre société respecte encore par culture les anciens, et dans notre métier c’est la même chose. On a effectivement tendance à faire encore plus attention à ce que l’on fait avec les justiciables âgés qu’avec les autres », reconnaît-il.

« La détention provisoire doit être une exception »

Pour autant, cette prévenue de 86 ans a-t-elle évité la case détention provisoire uniquement parce qu’elle est âgée ? « Tout est question de contexte, s’il y a risque de réitération des faits, de trouble à l’ordre public, une détention provisoire peut être prononcée malgré le grand âge du mis en examen », explique le procureur général de Metz. « Il y a aussi la question de l’état de santé du prévenu qui intervient dans la décision de l’incarcérer ou non », tient à préciser l’autre magistrat, insistant sur le fait que « la détention provisoire doit toujours être une exception ».

Mais qu’en est-il lorsque arrive l’étape du procès ? Toujours selon le magistrat anonyme, dans la préparation d’un procès, il peut y avoir des aménagements liés à des conséquences indirectes de l’âge, comme des problèmes de mobilité. Mais cela vaut aussi pour les personnes plus jeunes, si elles sont handicapées par exemple. Dans le traitement des faits, l’application du Droit peut s’avérer plus souple : « Je me souviens avoir requis une peine inférieure à celle que j’aurais requise normalement pour un braquage parce que l’accusé avait 64 ans », se souvient François Perrain. « L’âge n’est pas une circonstance atténuante », insiste une avocate de Boulogne-sur-Mer qui préfère rester discrète. Il y a une douzaine d’années, elle avait d’ailleurs obtenu de la prison ferme contre un agriculteur de 74 ans qui avait tué un voisin d’un coup de fusil.

Des peines de prison sont donc prononcées envers les aînés, si toutefois l’affaire va jusqu’au procès. Partie civile dans un dossier de féminicide où le prévenu, très âgé, a été placé en Ehpad, maître Blandine Lejeune désespère de le voir comparaître un jour : « S’il n’est pas en capacité de se défendre, le procès sera sans doute reporté jusqu’à ce que mort s’ensuive », déplore-t-elle. « C’est le Droit européen, assez logique, qui empêche de juger des personnes qui ne sont pas en capacité de se défendre », renchérit le magistrat anonyme.

Une population carcérale vieillissante

Il y a donc des personnes âgées qui vont en prison. Et c’est d’ailleurs là que les choses se compliquent pour elles. Selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, au 1er janvier 2022, les établissements pénitentiaires français comptaient 2.915 détenus de 60 ans et plus pour une population carcérale de 69.448 personnes. L’Observatoire international des prisons (OIP), note même que le vieillissement de la population carcéral a quadruplé entre 1980 et 2021. « Cela devient un sujet central, notamment parce qu’il entraîne une hausse des pathologies liées à l’âge et des situations de perte d’autonomie », souligne Pauline Petitot, chargée d’enquête à l’OIP.

« On a des personnes âgées incarcérées, mais on a aussi des personnes, condamnées à perpétuité, qui vieillissent en prison. Sur les prises en charge de ces détenus, il y a des unités sanitaires dans chaque établissement qui peuvent assurer un suivi médical. Il y a aussi, dans certaines prisons, des quartiers plus spécialisés pour les détenus en perte d’autonomie », détaille à 20 Minutes un porte-parole de l’administration pénitentiaire. Adapter les prisons au vieillissement de leur population est une réforme qui tarde à se généraliser selon l’OIP. « L’accessibilité des locaux est un gros problème, avance Pauline Petitot. Un détenu en fauteuil peut être contraint de descendre sur les fesses les marches jusqu’à la promenade ».

Néanmoins, l’âge peut aussi assurer une porte de sortie à certains détenus, même les ceux coupables des pires atrocités. Ce fut le cas de Maurice Papon, coupable de crimes contre l’Humanité et pourtant libéré en 2002, pour « raisons de santé », à l’âge de 91 ans. « Une expertise médicale qui démontre l’incompatibilité de l’état de santé du détenu avec la détention peut aboutir à une suspension de peine, reconnaît le procureur général de Metz. Le cas des époux Balkany est une démonstration de cette situation. »

Il arrive aussi que des détenus meurent derrière les barreaux. « S’ils n’ont plus de domicile, de contact avec des proches à l’extérieur, des détenus finissent leur vie en UHSI (Service d’Unité Hospitalière Sécurisé Inter-régionale) faute de solution alternative », déplore François Perrain. Il en est d’autres pour lesquels la question ne se pose même pas. « Un Guy Georges, qui est entré à 40 ans, personne n’a envie de le voir sortir », confie une source pénitentiaire. C’est ainsi que Michel Fourniret, 79 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer, n’a été extirpé de sa geôle que pour mourir à l’hôpital.