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« Les lecteurs nous font confiance », assure le fondateur du « Routard »

C’est le compagnon de voyage préféré des Français. Lancé en 1973 par Philippe Gloaguen après un voyage en Inde, Le Guide du routard est aujourd’hui une véritable institution. Un best-seller édité chaque année à 2,5 millions d’exemplaires et qui s’est vendu à 55 millions d’exemplaires depuis sa création. A l’occasion des cinquante bougies du Routard, son fondateur revient pour 20 Minutes sur cette incroyable success story.

Comment a démarré toute cette aventure ?

Par une rencontre avec le grand reporter Jean Lacouture quand j’étais encore étudiant. Il était basé en Egypte et découvrait ce pays dans des conditions qu’aucun milliardaire n’aurait pu s’offrir. Il connaissait le président Nasser, se rendait avec le ministre de l’Archéologie à chaque fois qu’un tombeau était découvert. Il était au plus près de l’information et avait une vision exceptionnelle de l’Égypte. Et en plus il était payé pour visiter ces sites merveilleux. Je trouvais ça extraordinaire moi qui était fils d’instituteur et que mon père travaillait onze mois dans l’année pour se payer un mois de vacances dans des conditions moyennes. Je voulais donc devenir journaliste.

Un magazine vous a donné cette chance…

Le magazine Actuel en effet qui était à l’époque une référence. Son patron Jean-François Bizot m’a envoyé à 18 ans en Inde pour suivre la mythique route des Indes. D’abord en autostop jusqu’à Istanbul puis en bus et en train jusqu’à Katmandou, le Sri Lanka. Un voyage de deux mois et demi seul dont j’ai ramené un carnet de route qui a été publié sur six pages. Déjà à l’époque, j’avais listé des adresses pratiques pas trop chères pour une clientèle jeune. L’article a bien marché avec beaucoup de retours de lecteurs. A tel point que Jean-François Bizot m’a proposé d’en faire un guide.

Un premier guide accouché dans la douleur, n’est-ce pas ?

Oh oui ! Le premier Guide du routard a d’abord été refusé par dix-huit maisons d’édition. Je trouvais ça un peu incompréhensible mais pour les éditeurs il y avait une connotation un peu marginale à l’époque. Alors que moi, j’étais passionné par l’hindouisme, le bouddhisme et je voulais juste découvrir des nations et des peuples que je ne connaissais pas. Une petite maison d’édition, Gedalge, l’a quand même publié en 1973. Cela a plutôt bien marché mais l’éditeur a fait faillite un an après. Et c’est là qu’Hachette m’a sollicité pour me proposer une collection de quatre bouquins qui sont sortis en 1975. Ils ont été les premiers à sentir qu’avec l’avènement des charters, une clientèle jeune et désargentée, était avide de voyages.

Les ventes du guide ont alors décollé…

On leur a proposé deux ou trois guides la première année et les tirages n’ont ensuite eu de cesse d’augmenter. En une dizaine d’années, on a atteint le million d’exemplaires vendus chaque année, puis deux millions dans les années 2000. Et nous en sommes aujourd’hui à 2,5 millions.

En 50 ans, le Routard a beaucoup voyagé. Mais a-t-il voyagé partout ?

Bien sûr que non. On n’ira par exemple jamais en Corée du Nord avec quinze jours de voyage pour quinze mois de taule. On ne va pas prendre ce genre de risque pour nos lecteurs. Il y a aussi des pays interdits comme l’Arabie saoudite, des pays dangereux comme c’est le cas dans l’Afrique centrale avec le djihadisme. Ou des pays qui ne sont pas du tout demandés et où il n’y a pas d’infrastructures comme le Mozambique. Je pense qu’on a traité environ la moitié des pays du globe.

Et qu’est-ce qui explique ce succès du guide et sa longévité ?

La confiance de nos lecteurs car nos informations sont précises et régulièrement remises à jour. C’est la grande force du Guide du routard. On a un ton un peu enjoué avec des textes parfois souriants et amusants mais derrière tout ça, c’est du béton armé avec une grosse organisation. On a une équipe de 22 personnes à la rédaction en chef et de 35 pigistes avec une agence qui organise des voyages rien que pour nous. Sur une année, c’est en moyenne 190 voyages en France et à l’étranger. On vend beaucoup d’exemplaires donc on a les moyens d’envoyer des personnes sur les destinations, c’est un cercle vertueux.

Comment travaillent d’ailleurs vos « enquêteurs-fureteurs » sur le terrain ?

Ils partent toujours à deux car certains voyages peuvent être dangereux. L’un ne se concentre que sur la rédaction et les adresses tandis que l’autre conduit et vérifie les itinéraires. Et quand on débarque dans une adresse, on ne se présente jamais et on paie toujours les additions. On ratisse ensuite la destination selon un système désormais bien organisé.

La concurrence d’Internet et des réseaux sociaux vous a-t-elle fait du tort ?

Je n’ai jamais été très inquiet. D’abord car on a un site qui marche très bien. Et puis on sait très bien comment cela se passe sur ces sites de voyage ou ces blogs sur Internet. Les premiers hôtels ou restaurants qui arrivent sur la liste sont ceux qui ont versé les plus grosses commissions. Nous, c’est tout le contraire. On ne raconte pas n’importe quoi aux lecteurs car ce sont eux qui nous font vivre et pas les annonceurs ou les restaurateurs. On a créé un lien de confiance très fort avec eux. Donc je n’ai aucune inquiétude et nos chiffres de ventes le prouvent d’ailleurs. On a énormément souffert pendant le Covid avec un recul de 85 % mais on a aujourd’hui retrouvé et même dépassé le niveau des ventes de 2019.

Comment accompagnez-vous cette transition vers un tourisme plus durable ?

Cela fait déjà longtemps que nous sommes conscients des problèmes environnementaux. J’ai d’ailleurs été le premier à sortir en 2007 un Guide du routard tourisme responsable. Je l’ai sorti quatre années de suite, même s’il était à chaque fois déficitaire. Et à chaque fois, on invite nos lecteurs à aller ailleurs que dans les destinations de tourisme de masse comme la Costa Brava en Espagne. On préfère leur parler de la Galice ou des Asturies qui sont des régions peu touristiques et magnifiques.

Suivant les ventes de guides, quelles vont être les destinations phares de l’été ?

Il y a toujours les valeurs sûres comme la Corse, la Bretagne, la Provence, le Pays basque. Mais on sent un intérêt de la clientèle jeune pour la France de l’intérieur comme l’Auvergne ou la Lorraine. J’étais d’ailleurs il y a quelques jours à Épinal qui est une ville magnifique. J’ai beaucoup de bonheur à faire la promotion de ces terroirs parfois un peu oubliés.

Vous avez encore le temps de voyager ?

Bien sûr ! Je voyage même plus qu’avant mais je voyage plus court. Je pars toutes les cinq semaines environ et à chaque fois neuf jours et sur deux week-ends. Je ne suis pas blasé loin de là, je prends toujours plaisir à être payé pour voyager et me cultiver. Il y a toujours de belles choses à découvrir comme ce restaurant incroyable au bord de l’eau que j’ai découvert récemment dans le golfe du Morbihan.