Les Français sont les rois de l’épargne, vraiment une bonne nouvelle pour leur pouvoir d’achat ?
A force de réciter La Cigale et la Fourmi en primaire, le Français serait-il devenu trop économe ? Depuis 2019, le taux d’épargne a augmenté de trois points, atteignant 18,2 % des revenus disponibles du pays en 2024. Mais si la Cigale finit certes par se geler les miches dans la fable, vouloir trop garder ses sous pourrait également s’avérer nuisible. Au point que la Caisse des dépôts parle d’un phénomène de « surépargne ». Complétons donc la fable :
« La Fourmi ayant épargné,
Toute l’année,
Elle se trouva fort lésée,
Quand l’économie continua de stagner. »
Il faut dire qu’une telle hausse en pleine inflation historique va à l’encontre des principales théories économiques. « Il était d’usage de penser qu’en période de forte hausse des prix, comme on a connu à partir de la fin 2021, la consommation allait grimper, atteste Denis Ferrand, économiste et directeur général de Rexecode, cabinet d’études en conjoncture économique. La logique voudrait qu’on achète au plus vite aujourd’hui ce qui sera plus cher demain ». A tel point que les prévisions de l’Insee et de la Banque de France indiquent, depuis cinq ans déjà, que l’épargne va baisser. A chaque fois à tort.
Des profils d’épargnants toujours plus valorisés
Alors, comment expliquer une telle fourmisation ? Premièrement, le profil type de l’épargnant. « Plus on est âgé, plus on épargne », indique Denis Ferrand. Ainsi, un actif place en moyenne 15 % de ses revenus en épargne, contre 25 % chez une personne de plus de 65 ans. Or, non seulement la population vieillit, mais les pensions de retraite sont revalorisées chaque année pour suivre l’inflation, ce qui augmente automatiquement le taux d’épargne des Français.
Ensuite, « les revenus les plus aisés ont connu une amélioration conséquente de leur pouvoir d’achat », développe François Geerolf, professeur d’économie et spécialiste des questions de placement. Suppression de l’Impôt sur la fortune et de la taxe d’habitation, Flat tax, baisse de l’impôt sur les sociétés, les mesures ne manquent pas depuis 2017. « Naturellement, les plus hauts revenus sont ceux qui épargnent le plus ».
Une épargne surestimée ?
Et pour le Français moyen ? Denis Ferrand a bien son idée : « Avec l’inflation, il y a une érosion de la valeur du patrimoine des ménages – ils peuvent acheter moins de choses avec, ce qui peut pousser à l’épargne afin de maintenir un pouvoir d’achat suffisant pour le futur, ou à dépenser quand la situation économique sera meilleure ».
Quitte à parfois surestimer leur épargne ? Prenons le Livret A, de loin le chouchou. Ce dernier possède un taux d’intérêt en apparence avantageux de 3 %. Mais avec une inflation annuelle estimée à 2 % en 2024, son taux réel n’est que de 1 %. Tout de suite moins impressionnant. De nombreux livrets, avec des taux inférieurs à 2 %, sont même – de fait – à perte.
Trop d’épargne, une mauvaise nouvelle ?
Les ménages en sont-ils conscients ? « Il est possible que le gain de l’épargne soit surestimé pendant cette période de hausse des prix », estime François Geerolf. « Le Français est plus au courant des taux des livrets que du chiffre précis de l’inflation annuelle, et ne la prend pas forcément en compte dans ses calculs ».
Tout cet argent qui dort pépère pourrait finir par être nocif, estime François Geerolf : « Il est certain que privilégier l’épargne à la dépense fait baisser la consommation, et donc la croissance et le PIB ». Même si l’expert reconnaît que c’était un peu le but recherché, au moment où la Banque centrale européenne a décidé d’une augmentation des taux. « En favorisant l’épargne, on baisse l’inflation puisqu’on diminue la demande, et donc l’offre ne peut pas augmenter ses prix continuellement. » Un plan qui aurait, peut-être, trop bien marché.
Et maintenant ?
Philippe Crével, économiste et directeur du Cercle de l’Epargne, se veut plus clément : « Je ne crois pas qu’il faille condamner l’épargne, a fortiori dans les périodes de doutes politiques et économiques comme c’est le cas en France. » Et si l’épargne peut éventuellement être nuisible pour le PIB, « il ne faut pas oublier que voir autant d’argent sur les comptes des Français a rassuré les agences de notation au moment de juger de notre capacité à résorber notre déficit. » Pas si bête, les fourmis.
Et pour 2025 ? Malgré la baisse de l’inflation et celle des taux des différents livrets, l’Insee et Banque de France prévoit une épargne encore très importante cette année. Viseront-ils juste cette fois ? Cigale ou fourmi, le Français reste avant un animal imprévisible.