France

Les festivals de musique sont-ils une espèce en voie de disparition ?

L’été, les fans de musique peuvent facilement faire un tour de France un peu original : celui de la teuf. Avec plus de 3.000 festivals de musique recensés en 2022 par le ministère de la Culture, l’Hexagone n’est pas en manque. Pourtant, le secteur traverse une crise. Selon une étude du centre national de la musique parue le 24 juillet, en 2024, deux festivals sur trois ont terminé leur édition avec un déficit. De quoi menacer un modèle qui paraissait immortel. Les 24 % de Français qui vont au moins une fois par an dans un festival vont-ils bientôt devoir leur dire au revoir ?

Un problème rattrape l’ensemble du secteur : les coûts explosent. « C’est la même tendance depuis des années. Il y a un effet ciseaux, avec des postes de dépenses de plus en plus importants et des recettes qui ne suivent pas », regrette Malika Séguineau, directrice générale d’Ekhoscènes, syndicat du spectacle vivant privé. Il y a les charges, d’abord. « L’inflation a généré autour de 30 % de coûts supplémentaires : transport, location, restauration… », énumère Jérôme Tréhorel, qui dirige le festival Les Vieilles Charrues. Et puis il y a les stars du show : les artistes.

Les cachets des artistes ont augmenté de 30 % en cinq ans

« L’un des enjeux importants pour un festival, c’est d’avoir une programmation à la hauteur des attentes, assure Matthieu Ducos, directeur du festival Rock en Seine [dont 20 Minutes est partenaire]. Sans têtes d’affiche, pas de festival, ou bien avec une réussite compromise. » Pourtant, attirer les meilleurs a aussi un prix. « Le modèle économique de la musique n’a pas retrouvé un équilibre, souligne Malika Séguineau. Avec les baisses de revenus de la vente de disques et du streaming, les artistes se reportent sur les tournées pour vivre. » Résultat : le cachet des artistes a augmenté de 30 % ces cinq dernières années. « En quinze ans, le budget pour la rémunération des artistes est passé de 1,7 million d’euros à plus de 5 millions, évoque même Jérôme Tréhorel pour Les Vieilles Charrues. En parallèle, on a relativement peu augmenté le prix de la billetterie, c’est une équation difficile à résoudre. » D’autant que le public, face à une offre pléthorique, a vu son pouvoir d’achat diminuer.

Et les nouvelles manières d’écouter la musique complexifient encore la tâche. « Avec Spotify et les réseaux sociaux, c’est le retour d’une grosse demande pour la musique internationale », analyse Samuel Capus, directeur associé du jeune Rose Festival à Toulouse. « On a changé nos manières de consommer de la musique, aujourd’hui elle s’écoute en streaming ou sur les réseaux, complète Jérôme Tréhorel. La majorité des gens écoutent à travers des playlists, donc ne connaissent pas le groupe, donc difficile ensuite de séduire avec la programmation. C’est important que les artistes communiquent aussi sur les festivals quand ils y jouent. » « Une des nouvelles tendances que nous commençons à analyser, c’est qu’une certaine partie des plus jeunes veulent vivre des moments privilégiés avec des shows intégraux de leurs artistes préférés, et peuvent être amenés à privilégier plutôt les concerts », ajoute encore Malika Séguineau. Désormais, les festivals ne sont pas seulement en concurrence entre eux, mais avec les Zénith, les salles de concert ou même les stades qui accueillent les tournées d’artistes internationaux.

« Colosses aux pieds d’argile »

A cela, il faut enfin ajouter une baisse des subventions publiques et des contraintes de réglementations (comme le décret « Son », adopté en 2023, qui impose de ne pas dépasser un certain niveau sonore). Ou encore le changement climatique, qui n’épargne décidément rien n’y personne. « On doit s’adapter à la pluie, aux fortes chaleurs, autant de domaines où des investissements sont nécessaires, détaille Matthieu Ducos. Cela a un impact, que ce soit sur la tenue de l’événement, ou sur des coûts dont l’assurance. »

Les festivals doivent composer avec un climat de moins en moins prévisible l'été, comme We Love Green, en région parisienne, début juin, qui connaît souvent des épisodes de pluie (ici en 2024).
Les festivals doivent composer avec un climat de moins en moins prévisible l’été, comme We Love Green, en région parisienne, début juin, qui connaît souvent des épisodes de pluie (ici en 2024). - Sadaka Edmond / Sipa

Bout à bout, tous ces éléments ont amené ces « colosses aux pieds d’argile » au bord de la crise. « Même pour des festivals majeurs, le remplissage ne suffit pas, alerte Malika Séguineau. Le modèle est toujours très fragile. Certains ne pourront pas continuer ainsi. » Selon le CNM, 68 % des festivals dont le taux de remplissage est supérieur à 90 % sont déficitaires en 2024, une proportion qui augmente de 26 points par rapport à 2023. Pour l’instant, le recours à des sponsors ou une augmentation du prix des billets permet à certains festivals de tenir.

Réinventer les festivals

Face à l’impasse financière, organisateurs et syndicats explorent plusieurs pistes pour repenser le modèle festivalier. En continuant de contenir les dépenses, envisage par exemple Samuel Capus de Rose Festival, pour qui « il ne faut pas se faire prendre en otage sur les cachets, et envisager des dispositifs techniques moins costauds ». D’autant qu’« on nous demande d’être plus raisonnables sur notre impact environnemental, alors que la mode est à une accumulation d’effets et de matériels », ajoute Jérôme Tréhorel.

A Rock en Seine, Matthieu Ducos a fait le choix d’allonger le festival (qui durera cinq jours cette année), et de diversifier la billetterie, avec certains billets plus chers qui offrent la possibilité d’arriver plus tôt ou des espaces de confort. « Chez nous, ces offres fonctionnent plutôt bien et permettent d’optimiser les recettes », assure-t-il.

« Les festivals vont et doivent continuer à exister, pour répondre aux attentes des Français qui y sont attachés comme lieux de vivre-ensemble, de mixit, de découverte et d’animation des territoires, assure Malika Séguineau. Mais le modèle que nous connaissons aujourd’hui ne peut pas durer. Il faut s’interroger sur le futur modèle : oraganiser des festivals de tailles différentes ? Pluri-esthétiques ou mono-esthétiques ? Mutualiser certains moyens ? Ces questions sont ouvertes et les professionnels y réflexhissent. »

Après une consultation de six mois avec le ministère de la Culture, dont les conclusions ont été rendues cet été, Ekhoscènes doit participer à la construction d’une feuille de route. Même si, affirme le syndicat, « toutes les solutions pour faire évoluer l’offre ne viendront pas des pouvoirs publics, mais d’une réflexion des professionnels pour lancer des expérimentations, qui seront soutenues par le Centre national de la musique ». « Après cinq ans de diagnostic, il faut agir », martèle sa présidente. Parcours initiatique et lieu de mixité sociale, personne ne veut voir disparaître les festivals.