« Les Femmes au balcon » est une « démonstration de solidarité féminine » explique Noémie Merlant
Noémie Merlant est merveilleuse. Cela ne date pas d’hier mais cela s’est confirmé de façon évidente en 2024. Non seulement, elle a tenu le rôle-titre d’Emmanuelle d’Audrey Diwan, mais elle a révélé au Festival de Cannes sa deuxième réalisation après Mi iubita mon amour (en 2021). Les Femmes au balcon témoigne de son talent et de sa vitalité avec un humour revigorant.
A la fois comédie et film de genre ne craignant pas de pencher vers le gore, ce brûlot sympathique lui permet de se mettre en scène aux côtés de Sanda Codreanu et Souheila Yacoub. Trois amies se trouvent confrontées à une situation périlleuse qui pourrait leur causer bien des ennuis quand elles se retrouvent confrontées à la violence masculine. Elles trouvent le temps de fantasmer sur leur beau voisin musclé (Lucas Bravo, vu dans Emily in Paris, également dans le rôle du charmant voisin) tout en essayant de se débarrasser d’un cadavre encombrant. Noémie Merlant y va à fond, ne s’interdit rien et on bat des mains avec enthousiasme avant qu’elle nous parle de son film avec autant de liberté qu’elle l’a réalisé.
Votre film est-il inspiré d’une expérience personnelle ?
Jusqu’à un certain point. A un moment donné, dans ma vie, j’ai pris conscience de pas mal de choses, des dynamiques patriarcales, des traumatismes que j’avais mis sous le tapis, en me disant en fait, ça va, j’arrive à vivre. Je me suis rendu compte qu’il y avait plein de choses que je gardais en moi et qui impactaient ma vie sexuelle, mes crises d’angoisse, ma santé mentale, et même des dynamiques dans mon couple qui faisaient que je n’étais jamais vraiment moi-même. Je me suis échappée, je me suis retrouvée chez mes amis, dont Sanda Codreanu qui joue dans le film, et là, pour la première fois, j’ai ressenti une espèce d’apaisement total, un relâchement du corps, un relâchement de l’esprit, une écoute particulière où, enfin, je pouvais extérioriser et parler des traumatismes que j’ai subis.
Pourquoi avoir choisi d’en faire une comédie féministe ?
J’ai l’impression que l’humour permet d’évacuer et en même temps de continuer de vivre. Il permet aussi de prendre conscience de certaines choses, de discuter, de dialoguer. Mais je tiens à dire qu’il s’agit d’un film de cinéma avant tout ! La plupart des films réalisés par des hommes, on ne se dit pas que ce sont des films politiques. On considère qu’ils parlent de choses qui concernent tout le monde quand ce sont des histoires d’hommes, et ça devient du particulier, du féminisme quand une femme est derrière la caméra. Alors que c’est tout aussi universel. Les Femmes au balcon parle de solidarité féminine et d’amitié, un sentiment que je place aussi haut que l’amour et le couple. L’amitié n’est pas une question de genre.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Tout ce qui va à l’encontre de la société patriarcale est considéré comme politique parce qu’on essaye de changer les choses. Malheureusement, les violences sexistes et sexuelles sont très répandues. Donc, je pense qu’on ne devrait pas particulariser un film comme celui-ci, ou d’autres films de femmes, qui parlent de ces sujets-là.
Vous écrire un personnage de comédienne était-il important pour vous ?
Je trouvais que ça montre à quel point la femme joue un rôle, y compris dans la vie. Là, en l’occurrence, elle joue le rôle de Marilyn Monroe, qui est l’image absolue de la femme créée par l’homme et pour l’homme, fantasmatique, mystérieuse, mais qui, finalement, est déconnectée complètement d’elle-même. A force d’avoir été créée comme mystérieuse dans les films pour plaire aux hommes, elle a fini par devenir un mystère pour elle-même et par se perdre.
Comment avez-vous conçu les personnages de ses meilleures amies ?
Je voulais une femme qui écrit son premier livre, qui essaie de raconter une nouvelle histoire, une histoire qui lui ressemble. Et ensuite, j’ai eu l’idée de celui d’une cam-girl, parce que j’avais envie d’un personnage qui assume le fait d’aimer faire ce métier-là, qui aime la sexualité, qui aime la liberté. C’est vraiment un personnage entier dès le début du film. Elle aime être torse nu comme un homme. Elle aime se maquiller à outrance. C’est un vrai bonhomme, en fait, parce qu’elle prend tout l’espace.
Vous avez souhaité faire l’inverse avec le personnage du voisin ?
J’ai voulu m’amuser à renverser un peu les codes. Lui faire prendre le rôle de ce que serait une femme dans un film d’homme. J’avais envie de montrer des femmes qui sont excitées par cet homme qui est torse nu à son balcon. Je trouvais intéressant de montrer qu’un torse masculin peut aussi être excitant pour des femmes et que le problème n’est pas l’excitation, mais le fait de réussir à la contrôler. Elles le désirent mais ne lui sautent pas dessus et ne l’importunent pas, ce qui change tout.
Avez-vous voulu inverser le « male gaze » ?
Je ne crois pas « male gaze ». Je vois plutôt cela comme un « patriarcal gaze », au regard patriarcal. Ce n’est pas un regard humain, c’est un regard sociétal dont il doit être possible de s’extraire, qu’on peut transformer en un regard plus humain, plus bienveillant plus empathique. C’est ce que j’ai essayé de trouver dans mon film, une autre façon de montrer les choses et de filmer les êtres. Je montre des femmes libres, épanouies et heureuses d’être ensemble. Il y a un côté joyeux.
Trouvez-vous que des progrès ont été faits dans l’approche de la sexualité ?
Quand il y a des avancées, il y a aussi des retours en arrière. C’est pour ça qu’il faut rester vigilant. Le procès de Mazan montre bien qu’il existe encore des agresseurs qui n’avouent pas quand ils ont violé. Ils ne se l’avouent même pas à eux-mêmes d’ailleurs. Ce procès est important par la façon dont il met ce sujet au cœur de l’actualité. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’hommes et de femmes qui commencent, à force de dialogue et d’introspection, à prendre conscience et à changer les choses, mais il y en a aussi qui continuent de pas s’intéresser au sujet, ou alors à être agacés par ce sujet. Il y a encore du travail. Il ne faut pas lâcher l’affaire.
Est-ce pour cela que le corps de l’agresseur est au centre de votre film ?
Je me suis dit, on va découper ce corps comme on découperait le patriarcat. Le corps de l’agresseur, l’âme de l’agresseur, on va s’en débarrasser et essayer de créer autre chose. C’est pour ça que je suis partie dans le gore, le film de genre qui, pour moi, est une forme de catharsis. Cela permettait aussi de montrer des femmes qui se défendent. Non, pas qui se vengent, mais qui se défendent. C’est très différent comme approche. Leur réaction se situe au niveau de la survie.
Que donneriez-vous comme conseil aux jeunes femmes qui veulent s’exprimer aujourd’hui ?
Déjà de bien s’entourer d’amis, puis de travailler. Il n’y a rien d’autre qui paye plus que de travailler, d’être curieux, de regarder des films, de faire des rencontres, d’écrire et de garder sa singularité. Il faut essayer de ne pas être dans le plaire – ne pas se demander ce qui plaît, ce qui fonctionne, ce qui marche – mais de tenter le plus possible de se connecter à soi et de chercher qui on est et ce qui peut être intéressant chez nous, pour l’autre. Bien sûr, c’est humain d’essayer de plaire. Tout le monde a envie d’être aimé. Mais il y a un endroit où il faut essayer de s’en foutre, en tout cas dans le processus de création, parce que sinon on risque de livre une pâle copie de ce qui existe déjà. Il faut apprendre à se libérer.