« Les enfants qui fuguaient on leur rasait la tête »… Des victimes de violences scolaires auditionnées à l’Assemblée

«Les bonnes sœurs, qui n’avaient rien de bon, nous martyrisaient. Les rares filles qui arrivaient à fuguer, quand elles revenaient on leur tondait la tête, et on les enfermait au mitard. Une couverture, un matelas pourri, un seau hygiénique dans le fond. Quand il était plein et quand on avait des envies pressantes, on faisait dans un coin du mitard. » Evelyne Le Bris, présidente de l’association des Filles du Bon Pasteur, raconte le calvaire qu’elle a subi, avec des milliers d’autres jeunes filles, dans un des établissements gérés par la congrégation catholique Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur.
Evelyne Le Bris, qui a subi ces violences au Mans, est l’une des huit porte-parole d’associations ou collectifs de victimes de violences scolaires, auditionnées ce jeudi 20 mars par la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires par l’État. Une matinée riche en témoignages poignants qui a permis d’esquisser de premières explications sur les failles des signalements et contrôles de ces établissements.
« Le père R. assumait d’enfermer les enfants nus, de les embrasser sur la bouche. Les enfants qui essayaient de fuguer on les rasait, on leur mettait une croix au mercurochrome rouge, tout le monde le savait. Tout était visible. Ça a duré de 1960 à 2019 », raconte Ixchel Delaporte, journaliste qui a enquêté sur les violences subies par les enfants placés chez les moines de la communauté de Riaumont, puis au sein de l’école privée hors contrat fondée par cette même communauté à partir de 1989.
La terreur a réduit au silence les enfants victimes
« C’est de votre force, de votre courage que cette commission d’enquête est née. Je veux constater que déjà nous assistons à une forme de tsunami, de mur en train de se fissurer. D’autres victimes vous regardent, peut-être qu’ils et elles se constitueront en collectifs, et si cette commission d’enquête a une utilité, c’est celle-là : participer à la libération de la parole », a déclaré le député insoumis Paul Vannier, l’un des corapporteurs de la commission d’enquête, avant d’en venir au cœur de leur enquête : la question du signalement. « Quels sont les contrôles que vous avez connus et qui n’ont pas fonctionné ? », a complété de son côté la députée Renaissance Violette Spillebout, corapportrice.
Dans nombre d’établissements, il est clair qu’il n’y avait pas de contrôles. 20 Minutes avait déjà expliqué par ici pourquoi ces contrôles sont si rares. Les témoignages entendus ce matin le confirment. « Il n’y avait pas de contrôle, c’était la porte ouverte à toutes les exactions. J’en ai vu un en quatre ans, un juge pour enfants du Mans. Il est venu, il est resté dix minutes. C’est tout », rapporte par exemple Evelyne Le Bris.
Dans les collectifs concentrant des faits surtout anciens, la terreur régnait. Des enfants ont parlé mais n’ont pas été entendus, d’autres n’ont tout simplement pas parlé, parce qu’ils étaient certains de ne pas recevoir de réponse. C’est le cas de Bernard Laffite, qui représente les victimes de Notre-Dame du Sacré-Cœur, dit Cendrillon, à Dax. « La première personne à qui j’en ai parlé c’est mon épouse, après 50 ans de mariage. Mes enfants n’étaient pas au courant. Pourquoi on n’en parlait pas ? Ma mère ne m’aurait pas cru, on m’aurait pris pour un menteur, et on m’aurait envoyé à Bétharram. » Ce système de terreur et de représailles aurait réduit au silence nombre d’enfants, dont des victimes du collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon, dans le Finistère. « Tous les professeurs frappaient les élèves. Si on se plaignait auprès d’un prof, on se prenait d’autres coups », décrit Didier Vinson, qui représente plus de 140 membres.
Des chiens lâchés sur une enfant, « ils l’ont mangée »
C’est le même système qui semble avoir réduit au silence les victimes de Saint-François Xavier d’Ustaritz, au Pays basque, et les petites filles du Bon Pasteur, dont le siège était à Angers. Des représailles qui pouvaient se terminer par la mort, si l’on en croit le témoignage d’Evelyne Le Bris, qui raconte comment une des fugueuses a été rattrapée par des chiens, lancés à sa trousse. « Ils l’ont mangée, lâche-t-elle dans un sanglot. Au matin, ce n’est pas le corbillard qui est venu, c’est un tombereau. »
Dans les établissements concentrant des faits plus récents, les enfants parlaient plus volontiers, et les parents se plaignaient visiblement davantage, mais leurs plaintes n’ont pas été réellement prises en compte. « Je vous parle de quelqu’un qui frappait régulièrement, qui a décollé les oreilles d’un enfant qui venait de se les faire recoller chirurgicalement. Les parents se sont plaints à la direction, et il y a eu des contrôles. Mais les enfants n’ont pas été entendus. Et il ne fallait pas atteindre à la réputation de l’école, on devait laver notre linge sale en famille », témoigne Constance Bertrand, qui représente d’anciens élèves de l’Institution Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine.
« Il faut un MeToo des violences sur les enfants »
De multiples autres facteurs entrent en compte dans cet échec collectif : la sidération et le déni des parents, qui ne voulaient pas voir l’insupportable réalité, a été évoquée par Alain Esquerre, représentant des victimes de Bétharram, par qui cette éclosion de témoignages a commencé. Mais surtout plus généralement une sorte de regard sur les enfants, résumé par la députée (PS) Ayda Hadizadeh : « L’idéologie selon laquelle un enfant est par essence mauvais, et qu’il faut le remettre dans le droit chemin ». « Il faut un MeToo des violences sur les enfants », plaide l’élue.
Notre dossier sur l’affaire Bétharram
La commission d’enquête devra formuler des préconisations, en s’appuyant également sur celles que proposent toutes ces victimes, qui ont suggéré ce matin de nombreuses pistes, comme la création d’un un office qui pourrait faire des contrôles inopinés, ou l’allongement des délais de prescription. Soucieux d’aider les victimes, des députés ont proposé leur aide, comme Sarah Legrain (LFI), suggérant la possibilité de « débloquer des budgets pour de l’aide juridictionnelle, ou un accompagnement psychologique ». « En tant que députés vous pouvez déjà aller dans vos circonscriptions et demander aux gens, interroger les gens, lui a répondu Constance Bertrand. Vous êtes les super-héros de la nation. »