France

Législatives en Allemagne : Le parti d’extrême droite AfD sera-t-il le « vrai » vainqueur du scrutin ?

Qui sera le « vrai » gagnant des élections législatives anticipées en Allemagne ce dimanche ? Le conservateur Friedrich Merz de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU/CSU), promis à la chancellerie fédérale avec environ 30 % des voix, selon les derniers sondages ? Ou le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), aux alentours de 20 % ?

L’AfD, né il y a douze ans et dont l’interdiction a été discutée par l’assemblée fédérale en janvier, pourrait connaître un « record historique, spectaculaire, avec plus de 20 % des voix, doublant son score des législatives de 2021 », souligne Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Derrière, Olaf Scholz, le chancelier sociodémocrate (SPD) sortant, obtiendrait aux alentours 15 % des suffrages.

Parti « omniprésent » mais isolé par un cordon sanitaire

Pour gouverner, Friedrich Merz devra construire une coalition, et les négociations pourraient durer des semaines, voire des mois. « La situation est très fragile selon Isabelle Guinaudeau, chargée de recherche CNRS au centre franco-allemand Marc Bloch. Selon les résultats, les négociations pourraient aboutir à la formation d’un gouvernement majoritaire ou minoritaire avec les sociaux-démocrates, voire une coalition à trois, avec les écologistes ».

Quant à l’AfD, elle vit une situation paradoxale. D’un côté, « elle se heurte à un plafond de verre, car tous les partis excluent une alliance pour gouverner avec elle », souligne Paul Maurice, de l’Ifri. Les raisons ? Le chercheur rappelle « la stratégie très radicale » du parti, où existent « des tendances identitaires très fortes, avec une stratégie d’entrisme d’éléments extrêmement radicaux, voire néonazis, qui ont une forte influence idéologique » dans la formation codirigée par Alice Weidel. « Tous les dirigeants ayant tenté de lisser le parti ont été éjectés, continue Isabelle Guinaudeau. Contrairement à de nombreuses formations d’extrême droite en Europe qui sont entrées dans une stratégie de dédiabolisation, l’AfD reste radicale ».

Mais isolé de l’exercice du pouvoir, l’AfD n’en reste pas moins puissant et devrait devenir la première force d’opposition du pays dimanche soir. En pleine crise économique et géopolitique, le parti d’extrême droite aura imposé la thématique de l’immigration dans cette campagne très polarisée sur la question, après une série d’attentats meurtriers. « L’AfD est omniprésent dans cette campagne, selon Isabelle Guinaudeau, qui vit en Allemagne. Et alors que tout le spectre politique allemand s’est droitisé sur les questions de l’immigration, les positions de ce parti tendent à être normalisées par les autres formations ».

Des portes rouvertes en Europe ?

L’AfD pourrait-elle gagner les prochaines élections, dans quatre ans, et devenir la formation politique qui sera celle à proposer une coalition aux autres ? « Cela dépendra des résultats et de la coalition dans laquelle Friedrich Merz sera engagé », souligne Paul Maurice, qui rappelle que l’AfD a reflué aux élections législatives de 2021 (10,3 %), par rapport à 2017 (12,6 %). « Généralement, il y a une prime politique au sortant. Il est possible que le fait d’avoir gouverné fasse gagner à Friedrich Merz une popularité, s’il réussit à avancer sur les sujets qu’il a promis durant la campagne, à savoir l’économie et l’immigration. Mais le contexte international va peut-être lui donner tort ».

En Europe, le succès de l’AfD pourrait lui ouvrir – ou plutôt lui rouvrir – des portes avec d’autres formations d’extrême droite. « Les Autrichiens plaident pour une réintégration de l’AfD, tout comme Viktor Orban, le président hongrois, souligne Paul Maurice. Cependant, ces partis sont tellement nationalistes qu’ils ont toujours du mal à se mettre d’accord entre eux à l’échelle européenne… ».

L’Amérique de Trump, du pain béni

En Finlande, en Suède ou au Danemark, où les partis d’extrême droite sont parfois intégrés dans des coalitions, la situation est différente. « Participant au pouvoir, ces formations n’ont pas intérêt à se rapprocher de l’AfD, qui reste « persona non grata » dans le gouvernement allemand », commente Paul Maurice. Quant au Rassemblement national, engagé dans une stratégie de respectabilité pour la conquête du pouvoir, et qui a pris ses distances avec l’AfD au Parlement européen *, la situation ne devrait pas réellement changer.

Enfin, de l’autre côté de l’Atlantique, le soutien des Etats-Unis, par la voix d’Elon Musk, l’influent conseiller à la Maison-Blanche, puis du vice-président J.D. Vance, représentent du pain béni pour l’AfD. Leurs déclarations en faveur du parti d’extrême droite ont choqué le pays, qui voyait les Etats-Unis comme un allié privilégié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

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A Berlin, certains habitants ont hâte que ces législatives se terminent. « C’est très long, cette campagne. On ne parle que d’immigration, l’atmosphère est lourde », réagit Jana, 43 ans, qui vit dans la banlieue de la capitale, ville où se sont tenues de grandes manifestations pour dénoncer un rapprochement entre la droite et l’extrême droite. Ayant plusieurs fois voté pour les écologistes, cette enseignante se dit déçue. « Le débat sur les réponses face au changement climatique, comme la manière dont on doit se servir de l’énergie qui est devenue chère, on n’en a pas parlé. C’est frustrant, réagit-elle. C’est tout le temps immigration, immigration, immigration. On fait monter l’AfD. Et ça s’installe dans la tête des gens ».

* L’AfD a été exclu du groupe « Identité et démocratie » au Parlement européen en mai 2024, et s’est affilié au groupe « Europe des nations souveraines », plus petit groupe d’extrême droite au Parlement européen.