France

«Le steak, la saucisse et le jambon végétal en sursis»

Depuis mercredi, le Parlement européen a voté en faveur d’une interdiction des appellations « steak », « saucisse » ou « jambon » ne contenant pas de viande. Avant qu’un décret ne soit appliqué, il faudra qu’il passe par la Commission européenne et par un accord des 27 Etats membres.


Depuis mercredi, avec le vote du Parlement européen en faveur d’une interdiction des appellations « steak », « saucisse » ou « jambon » pour les produits ne contenant pas de viande, les plaisanteries circulent parmi les végétariens. Depuis environ dix ans, avec l’émergence d’alternatives végétales, le lobby de la viande et de l’élevage cherche à faire interdire ces appellations, jugeant qu’elles sont « trompeuses » pour les consommateurs. « Est-ce qu’on va aussi renommer l’huile de vidange pour éviter que les gens n’en mangent ? C’est complètement absurde », s’insurge Rhys Guillerme.

À la tête de Plantigrade, une épicerie végane à Rennes, il dénonce ouvertement cette décision européenne. « Les gens qui consomment du végétal ne sont pas idiots. L’appellation saucisse n’est pas là pour les tromper, c’est pour les guider. Mais au final, une saucisse peut contenir ce que l’on veut, non ? »

Philippe, face à un frigo contenant ces produits visés, s’interroge. Végétarien devenu végan « il y a cinq ou six ans », il critique également le choix des 355 eurodéputés ayant voté pour (contre 247). « Ça n’a aucun sens d’interdire l’appellation veggie burger. Un burger, c’est une recette. C’est pareil pour la saucisse », déclare-t-il. Concernant le terme jambon, il est plus mitigé, car il fait référence à une partie spécifique du porc. « Le jambon végétal, je trouve ça un peu étrange », admet-il. « Et le jambon de dinde alors ? Dans ce cas-là, on l’interdit aussi », souligne Rhys Guillerme.

Soutenu par la députée française Céline Imart, le texte a bénéficié du soutien de figures influentes du secteur agricole. L’élue Les Républicains est notamment reconnue comme la porte-parole de la puissante Intercéréales et membre influente de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. Productrice de céréales dans le Tarn, elle défend son texte, affirmant qu’elle n’est pas opposée aux produits végétaux mais « attachée à la valorisation des termes, à leur sens véritable ».

Ces arguments ne convainquent cependant pas les entreprises françaises proposant ces produits. « Cette situation dure depuis des années et est principalement initiée par la France. Nous avons toujours trouvé cela absurde », se désole Louise Ribéreau-Gayon de la marque Accro. Elle lance également une blague à ce sujet : « Est-ce qu’on va changer le nom du lait démaquillant ? ».

Établie dans les Hauts-de-France, la société fondée en 2019 insiste sur le fait qu’elle « ne cherche absolument pas à tromper le consommateur » et défend son choix sans viande. « Regardez nos emballages, c’est écrit en gros 100 % végétal », précise sa directrice stratégie et marketing. Mais pourquoi alors parler de nuggets, de saucisses ou de merguez ? « Parce que nos habitudes alimentaires sont très ancrées. Nous répliquons une utilisation, pas un produit. Ces attaques visent à discréditer une catégorie de produits. D’autant plus que nous ne savons même pas quelles appellations seraient concernées », déplore Louise Ribéreau-Gayon.

En début d’année, sa marque avait ironisé sur ces interdictions en utilisant les termes « boulaites » et « stèques » dans une campagne publicitaire. Cependant, derrière cette humour se cachent de véritables inquiétudes, celles de devoir repenser tout un packaging, ainsi que de récupérer des clients déjà pas très nombreux. « Si nous devons tout changer, cela représentera un coût énorme pour une entreprise comme la nôtre ». Le secteur ne génère qu’environ 180 millions d’euros de chiffre d’affaires en France.

Le vote du Parlement européen n’était cependant qu’une première étape vers l’interdiction. Avant qu’un décret soit appliqué, il devra passer par la Commission européenne et obtenir l’accord des 27 États membres. Une décision pourrait être prise d’ici la fin de l’année.

En 2020, un vote similaire avait eu lieu au Parlement, mais avait été rejeté, notamment par la gauche. En France, deux décrets avaient été adoptés pour répondre aux revendications de certains agriculteurs, mais avaient été annulés par le Conseil d’État. Le steak de soja est donc en sursis. En revanche, la saucisse, qu’elle soit animale ou végétale, peut continuer de contenir des additifs, des conservateurs, des antioxydants et des colorants.