France

« Le luxe est amené à rester l’un des fleurons économiques français »

« Ce sont des résultats improbables ». Quand Yves Hanania liste les résultats du secteur du luxe – 20 milliards de chiffres d’affaires pour le seul Louis Vuitton l’année passée, une hausse de 22 % pour Hermès entre le premier trimestre 2023 et celui de 2022… – , même lui ne peut s’empêcher d’être surpris. Pourtant, le luxe, le fondateur du cabinet de conseil Lighthouse, spécialisé en stratégie et développement de marque, le connaît bien. En plus de travailler avec plusieurs grands noms du milieu, le spécialiste a coécrit l’ouvrage Le luxe contre-attaque (Dunod, 2022), revenant sur le succès du secteur depuis la pandémie de coronavirus. Il revient pour 20 Minutes sur les raisons de cette succes-story.

Le secteur du luxe affiche une forme exceptionnelle, avec des bénéfices records. Comment expliquer une telle vitalité ?

Le secteur a parfaitement compris – et s’est parfaitement inscrit – dans la plupart des tendances actuelles, d’où son succès. Recherche d’une audience plus jeune, digitalisation de l’offre, placement sur les valeurs d’engagement et de responsabilité, notamment écologique avec l’essor de la seconde main et la possibilité de réparation sur un produit….

Les marques sont davantage dans l’affect avec le client et cherchent plus à nourrir la relation avec lui – par exemple Longchamp a lancé une collaboration avec Pokémon – et se vendent sur plus de canaux différents. Le luxe s’est également diversifié : il y a du luxe accessible, du luxe classique et de l’ultraluxe. Le secteur parle à plus de personnes, dispose de plus de points de vente et de distribution grâce au numérique, avec une plus large gamme de prix. L’offre s’est tout simplement améliorée, ce qui explique son succès.

Le milieu semble avoir profité de la crise du coronavirus pour rebondir plus fort et plus loin. C’était d’ailleurs le titre de votre livre : il « contre-attaque ». La pandémie lui a-t-elle donné un second souffle ?

L’erreur souvent commise est de croire que la crise du Covid-19 a amené de nouvelles habitudes, alors qu’elle a juste été un accélérateur de mouvements déjà bien établis. De nombreuses maisons de luxe avaient bien compris ces tendances pré-pandémie, et étaient équipées pour l’affronter, notamment grâce à l’essor de la digitalisation et la présence massive sur les réseaux sociaux. Ce sont ces maisons ayant agi en amont, comme Louis Vuitton, qui s’en sont le mieux sorties. 

Les confinements ont vu l’impact des réseaux sociaux et de la vente numérique se démultiplier. Les maisons ayant capitalisé dessus ont pu profiter de cette caisse de résonance très forte.

Tous les secteurs ne peuvent en dire autant…

Evidemment, une voiture ou une nuit d’hôtel se vendent moins facilement en confinement. Le luxe est plus malléable aux changements, c’est son essence même que d’anticiper son époque. 

Mais il ne faut pas croire que tout a été simple. Les maisons n’ayant pas saisi les opportunités ont connu des moments difficiles, même avant la pandémie. La maison Sonia Rykiel, fleuron parisien dans ses heures de gloire, a été placée en liquidité judiciaire dès 2019, avant le virus. Comme partout, dans le luxe, il faut s’adapter. 

Pendant la pandémie, on a beaucoup entendu parler du monde d’après, avec une moindre abondance. N’est-ce pas paradoxal de voir le luxe fleurir ainsi ?

Premièrement, la période post-Covid a été suivie d’une séquence de surconsommation, comme les années folles après la guerre mondiale. Il y avait l’idée de reprofiter. Ensuite, de manière plus structurelle, les grandes maisons ont compris les attentes environnementales. 

Il ne faut pas rosir le tableau, tout n’est pas idéal, mais des efforts conséquents sont déployés pour permettre l’essor de la seconde main, l’utilisation de produits plus durables… J.M. Weston a notamment énormément développé son activité de revente et de réparation. Le luxe vend moins en volume que le milieu ou le bas de gamme, il est donc plus facile d’établir un meilleur bilan écologique.

Justement, en parlant de bas de gamme, la marque de fast fashion Shein montre que les valeurs écologiques ne sont pas essentielles pour réussir…

Elle surfe sur le seul prix comme levier d’achat, ce que ne peut évidemment pas se permettre le luxe. L’ultra-fast fashion est venue s’enrichir en ne respectant aucunes règles et en multipliant les codes utilisés par le luxe, notamment les collaborations avec les influenceurs et le rajeunissement de la clientèle. Cela montre  également la vitalité du luxe, qui inspire les autres gammes dans les façons de créer et de procéder.

En France, 2022 et 2023 sont des années particulièrement difficiles pour le milieu de gamme. Camaïeu a mis la clé sous la porte, Pimkie a annoncé la fermeture de 67 magasins… Se dirige-t-on vers un monde polarisé entre le fast fashion et le luxe ?

Je ne le crois pas, au contraire. La gamme de prix n’a jamais été aussi diversifiée. Au lieu d’une polarisation, je vois une différenciation au sein des catégories. On a déjà parlé du luxe accessible, du luxe et de l’ultraluxe, mais il y a également une diversité dans le bas de gamme, avec l’ultra-fast fashion, la fast fashion, le bas de gamme, et idem au milieu de gamme. 

On a pas mal regardé dans le rétro, mais quel avenir imaginez-vous pour le luxe ?

Il est amené à rester d’un des fleurons de l’économie, particulièrement en France. Tout comme les Etats-Unis ont longtemps fait des Gafa leur porte-étendard, notre pays devrait faire de même avec les Kholc : Kering, Hermès, Oréal, LVMH et Chanel. A eux cinq, ils représentent 40 % de la valorisation du CAC40 en 2022. Ce n’était que 8 % il y a quinze ans. Aujourd’hui, les Gafa sont dans la tourmente, alors que les Kholc cartonnent. Le luxe a semé les graines de son succès, au pays de capitaliser dessus, tant en termes d’emplois que de bénéfices.