Le luxe à la télévision, « une téléréalité inversée », déclare Virginie Spied.
Selon Virginie Spied, la feuilletonnisation des programmes tels que « L’Agence » et « Million dollar week-end » est l’une des clés de leur succès. Elle souligne que depuis l’époque de « Loft Story » de M6, l’argent s’expose sans complexe à la télévision, révélant un changement de perception de la réussite dans la société.

L’argent ne se cache plus à la télévision. Après le lancement récent de la série « Million dollar week-end » sur la plateforme TF1 + et de l’émission « L’Agence, l’immobilier de luxe en famille » sur TMC, le luxe et l’argent prennent de plus en plus de place sur nos écrans. Virginie Spied, maître de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication à l’Université d’Avignon, sémiologue, analyste des médias et autrice de Succès story, pourquoi les médias nous captivent (éd. Harmattan), analyse cette tendance pour « 20 Minutes ».
La « feuilletonnisation » comme atout
Depuis des décennies, les chaînes de télévision explorent divers formats centrés sur l’argent. « Le luxe a toujours captivé la télévision, affirme Virginie Spied. On le retrouve depuis longtemps dans les fictions et les documentaires. » De la série américaine Dallas au magazine-reportage « Sagas » de Stéphane Bern sur TF1, qui présentait dans les années 1990 les plus magnifiques demeures des têtes couronnées, l’argent à la télévision a toujours eu un certain attrait. « Cela a toujours fait rêver », ajoute l’experte des médias. Le mois de novembre 2025 ne déroge pas à cette règle, avec le lancement de la saison 6 de « L’Agence » sur TMC et de « Million dollar week-end » sur TF1 +.
Pour Virginie Spied, la feuilletonnisation de ces programmes constitue l’un des éléments clés de leur succès, et de leur pérennité à l’antenne. « Le téléspectateur oscille entre identification et rêve en les visionnant, remarque-t-elle. De nos jours, les programmes qui plongent dans des univers de luxe se construisent autour de personnages. »L’Agence », avec la grand-mère, les frères, les enfants et les partenaires de la famille Kretz, ressemble un peu à une fiction, avec des saisons qui se ressemblent. »
« On remet de l’exceptionnel dans l’ordinaire »
Cette tendance d’identification du téléspectateur à des personnages riches se retrouve également dans « Million dollar week-end ». Cette série, présentée sur TF1 +, est un voyage au cœur de l’excellence et de l’extravagance. Elle transporte les spectateurs dans l’univers des vacances de luxe de personnes aisées, s’étendant de Sydney à Gerringong sur la côte sud-ouest australienne. Un monde où les propriétés coûtent plusieurs millions de dollars et où les attentes des invités sont extrêmement élevées.
« Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est que le luxe se dévoile dans des formats de téléréalité, note Virginie Spied. Une sorte de téléréalité inversée. En 2001, lorsque la téléréalité fait son apparition en France avec »Loft Story », l’objectif était de montrer comment vivaient de »vraies personnes », comme vous et moi. Avec les émissions sur le luxe, c’est l’inverse. On remet de l’exceptionnel dans l’ordinaire. »
« C’est le rêve chic de Dubaï »
Le caractère « exceptionnel » mis en avant dans ces émissions semble suivre des codes bien établis. « Dans les programmes axés sur le luxe, on peut notamment distinguer des types de physiques, explique Virginie Spied. Dans »Million dollar week-end », par exemple, les concierges comme les personnes fortunées possèdent un physique avantageux. On y retrouve des coiffures similaires, ainsi que des interventions chirurgicales comparables… »
« Des professions, telles que celle d’agent immobilier, deviennent des professions vedettes, poursuit Virginie Spied, en évoquant »L’Agence ». Ces agents partagent les mêmes codes, notamment vestimentaires, que leurs clients riches. » Concernant le matériel, le luxe est également présenté de manière codifiée. « On y trouve toujours de grandes maisons avec des piscines et plusieurs salles de bains… C’est le rêve chic de Dubaï. »
Depuis l’époque de « Loft Story » sur M6, l’argent s’expose sans réserve à la télévision. « Cela témoigne d’un changement de la perception de la réussite au sein de notre société, analyse la sémiologue et analyste des médias. Aujourd’hui, les riches ne sont plus seulement les figures royales que l’on voit dans le magazine »Point de vue ». Ils proviennent de la société civile et ont réussi par leurs propres moyens. »
« Des répercussions sur les jeunes, mais… »
Ces vies de rêve, qui semblent accessibles, peuvent-elles devenir un cauchemar pour ceux qui visionnent ces émissions ? « Le téléspectateur oscille entre identification et rêve, tempère Virginie Spied. Chaque action des participants à ces programmes est « instagramable ». Nous sommes désormais dans un univers de l’image, et non plus dans une richesse cachée et d’une bourgeoisie protégée. Cependant, le téléspectateur n’est pas dupe, il sait ce qu’il regarde. Il souhaite avant tout rêver. »
Ces émissions peuvent également désorienter le public, notamment les plus jeunes, souvent confrontés à la précarité. « Oui, effectivement, ce type de programmes peut avoir des répercussions sur les jeunes, déclare Virginie Spied. Ils peuvent penser que c’est à travers ce qu’ils voient dans ces programmes qu’ils réussiront ou non leur vie. Cependant, je crois que la plupart d’entre eux ne sont pas aussi naïfs. Ils sont même souvent très critiques, parfois plus que leurs parents. » Et cela, ce n’est pas un luxe.

