France

« Le dérèglement climatique génère une forme de fatalisme qu’il faut combattre ! », prône l’écologiste Jon Palais

Ses premières armes, il les a faites en 2006 auprès de Greenpeace. Cofondateur du mouvement pour le climat et la justice sociale, Alternatiba, et d’Action non-violente COP21 (ANV-COP21), Jon Palais est, à 43 ans, l’un des initiateurs des modes d’actions non violentes et de désobéissance civile très largement usités par les militants écologistes. Dans son livre La Bataille du siècle, Stratégie d’action pour la génération climat, il revient sur l’écologie radicale, la mobilisation citoyenne, et offre sa vision des « mondes d’après » qu’il estime encore possibles. Déterminé à poursuivre la lutte contre le dérèglement climatique et l’inaction politique, il aspire, aussi et surtout, à un mouvement citoyen de masse qu’il juge essentiel pour faire entendre raison à une classe politique « pas à la hauteur des enjeux ».

En octobre dernier, plusieurs militants ont jeté de la nourriture sur des tableaux de maître pour alerter sur l’inaction climatique et l’urgence écologique. Comprenez-vous que cela ait pu choquer certaines personnes ?

Oui, je comprends que ça ait pu choquer, mais c’était l’objectif de l’action ! Choquer pour interpeller. Quand on s’intéresse à ce que disent les climatologues, on voit que la situation est alarmante. Et quand on regarde, d’un autre côté, la société, on voit qu’elle intègre très lentement ces enjeux. Il y a un réel décalage entre ce que nous dit la science, et comment réagissent la société et la classe politique ! Il faut donc parfois bousculer l’ordre établi pour poser un sujet au centre du débat, quand on considère qu’il n’y est pas alors qu’il devrait l’être.

L’alerte s’est-elle, aujourd’hui, déplacée ? Est-elle passée d’une alerte sur les ravages écologiques à une alerte sur l’inaction climatique ?

Je distingue trois niveaux. Le premier est d’alerter sur la situation climatique, comme le font les actions de jets de soupe sur les peintures. Le deuxième est d’alerter sur l’inaction politique. C’est ce que nous avons fait avec l’un des mouvements au sein duquel je milite, ANV-COP21, à travers, entre autres, le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron dans les mairies. Là aussi, ça a choqué, parce que nous nous sommes attaqués à un symbole. Enfin, le troisième niveau, c’est d’interpeller sur ce qu’il est possible de faire à notre niveau, en tant que citoyen. Car on ne pourra pas relever le défi climatique s’il n’y a pas une forte mobilisation de la société civile.

Emmanuel Macron a toujours eu un discours très vert qui n’a nécessairement pas été suivi d’action. Or, ça a un effet très dangereux d’anesthésiant sur la société civile, alors même que nous sommes à un moment où nous avons besoin d’une mobilisation générale.

Depuis plusieurs mois, le mouvement Scientifiques en rébellion multiplie les actions, quitte à se mettre en danger. C’est ce qu’il s’est passé notamment en Allemagne en novembre dernier. Comment expliquer que même les scientifiques, plutôt discrets en règle générale, décident, à leur tour, de sortir dans la rue ?

C’est intéressant car il s’agit d’une catégorie professionnelle dont le rôle social n’est pas, à la base, d’agir directement pour transformer la société. En militant, ils s’engagent pour tenter de faire bouger les lignes. Ce que j’observe aussi, c’est que les climatologues qui ne participent pas aux actions, militent aussi à leur manière. Je pense à des personnes comme Valérie Masson-Delmotte ou Christophe Cassou qui, tout en tenant leur rôle, sortent de leur réserve et interpellent la société pour la pousser à agir.

La méthode et la rigueur scientifique sont deux choses très importantes. Mais si c’est pour que l’humanité disparaisse dans quelques décennies, il y a un problème. Donc il faut réussir à concilier cette rigueur et la neutralité scientifique à une manière d’interpeller la société civile.

En novembre dernier, Gérald Darmanin a qualifié les écologistes de Sainte-Soline qui manifestaient contre les méga bassines, d’écoterroristes. Les militants écologistes se sont-ils radicalisés ces dernières années ?

Il faut, tout d’abord, préciser les termes car on ne peut pas parler de la même manière de l’écologie radicale et du terrorisme djihadiste. Les actions militantes écologistes sont-elles, plus “confrontatives” aujourd’hui qu’avant ? Personnellement, je ne trouve pas. Un mouvement comme les faucheurs volontaires d’OGM, créé en 2003, usait déjà, à l’époque, de modes d’action radicaux. Ce qui donnait lieu à des épisodes de répression très forts. Des hélicoptères lançaient carrément des grenades lacrymogènes sur les militants !

Il faut savoir que ce ne sont pas forcément les actions les plus transgressives qui fonctionnent le mieux. Il n’y a pas nécessairement de lien direct entre le niveau de radicalité d’une action et son effet de transformation du système. Une pétition, qui est probablement le mode d’action le plus soft, peut amener à un changement rupturiste, et sera donc considérée comme radicale. Paradoxalement, les marches pour le climat, qui restent pourtant un mode d’action très inclusif, ont eu un rôle très important dans le phénomène de radicalisation global du mouvement climat.

Plusieurs terres agricoles menacées d’artificialisation sont actuellement occupées par des militants écologistes dans le but de stopper ces projets et de les faire annuler. L’installation d’une ZAD est-elle une méthode de lutte efficace ?

Oui, ça peut l’être. Mais l’efficacité dépend de la stratégie d’ensemble dans lequel ce mode d’action s’intègre. La ZAD est un mode d’action qui n’est efficace que lorsqu’il est accolé à un soutien assez large de la population qui habite sur le territoire, et à des actions en justice qui permettent de gagner du temps, voire de remporter une victoire définitive sur le plan juridique. S’il s’agit, en revanche, de dix personnes qui décident d’occuper un terrain, alors c’est plus risqué car les forces de l’ordre peuvent, elles, venir à beaucoup, plus de dix, pour procéder à l’évacuation de la zone.

Surveillance, procès, blessures lors des manifestations, interpellations et verbalisations… Les violences à l’encontre des militants écologistes se sont-elles intensifiées ces dernières années ?

Il y a dix ans, militer pour le climat était beaucoup plus compliqué car la plupart des gens ne comprenaient absolument pas l’enjeu. Aujourd’hui, c’est tous les jours que l’on parle du climat ! Par ailleurs, la répression était très forte avant aussi. Il y avait énormément de procès, des amendes importantes infligées aux militants. José Bové a même fait de la prison, en 1998, après une action de démantèlement d’un Mac Do ! Dire que la répression est plus forte maintenant, c’est donc, peut-être, crier au loup.

Mais n’oublions pas que la lutte climatique est une lutte sociale. Et nous allons être de plus en plus exposés aux impacts du dérèglement climatique, ce qui va forcément créer des mouvements de contestation. Donc il faut s’attendre à une répression à venir beaucoup plus importante, et nous avons intérêt à être bien organisés et très nombreux pour y faire face.

Finalement, trois ans après le Covid, où est ce monde d’après tant espéré ?

Pendant la pandémie, énormément de choses ont changé. Les gens ont commencé à interroger le sens de leur travail, de leur vie. Mais les habitudes sont tellement ancrées profondément… Je pense néanmoins que ça a laissé des traces profondes, et que beaucoup de gens en ont gardé quelque chose. Ça a préparé les esprits. Les mondes d’après sont certes un peu sous les radars mais ils existent. La plupart des gens ne savent pas comment agir pour limiter le dérèglement climatique, ce qui génère une forme de fatalisme. Et c’est ça qu’il faut combattre ! Or on peut y arriver car des alternatives existent déjà. Quand on s’intéresse aux alternatives expérimentées sur le territoire, on comprend qu’il y a d’autres manières de faire, et qui émettent beaucoup moins de gaz à effet de serre ! Tout l’enjeu, c’est de généraliser ces alternatives, de les faire passer de la marge à la norme.

Ainsi, nous pourrions vivre dans une société plus solidaire, coopérative, d’échange et de vivre ensemble.