Laïcité : « Ça ne m’empêche pas d’avoir un bac + 5 »… Le port du voile pose-t-il vraiment problème à l’université ?
A l’université Pierre et Marie Curie,
Il fallait avoir le regard aiguisé, mercredi, pour trouver trace d’un foulard islamique sur le campus Pierre et Marie Curie, dans le 5e arrondissement de Paris. Poireauter devant la sortie des amphis un jour pluvieux de partiels, jeter un œil à la bibliothèque en espérant ne pas faire trop de bruit, faire le tour des lieux de restauration des étudiants. Bref, on est loin d’un phénomène d’ampleur, encore moins organisé.
Cela n’empêche pas Bruno Retailleau, dans les colonnes du Parisien mardi, de se dire « favorable » à l’interdiction du voile à l’université. Une idée retoquée par François Bayrou. « Franchement il y a d’autres priorités », s’agacent Lina* et ses amies, croisées en pause déjeuner. Très vite, la discussion s’oriente vers le manque de profs. La jeune femme porte le voile, pas ses amies. « Ça ne m’empêche pas d’avoir un bac + 5 », lance-t-elle, bravache.
Retirer son voile à l’entrée, « c’est humiliant »
En réalité, Lina est tout de même chanceuse. Selon un rapport de l’Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le Supérieur, « les candidats d’origine maghrébine ont 11 % de réponses favorables en moins » par rapport aux autres, cite Elisa Mangeolle, porte-parole de la Fage. Pour l’organisation étudiante, les propos du ministre de l’Intérieur « sont choquants, la laïcité est censée protéger les étudiants, pas devenir une arme ».
Si le voile est interdit à la fac, « je vais devoir passer une année entière à retirer mon voile au portail et le remettre en sortant, c’est humiliant, je trouve », témoigne Souadou, étudiante en sciences de la mer croisée dans la queue du micro-onde. « En quoi ça dérange de mettre un voile ou pas ? Quand je venais avec ma croix en collier, personne ne m’a jamais rien dit », abonde sa camarade Lilou, « en colère et triste » de cette nouvelle polémique.
« Aucun problème majeur en 2024 »
« A partir du moment où j’ai mis le voile, ça a fait partie de mon identité, donc l’enlever c’est comme si on enlevait une partie de moi », témoigne de son côté Yasmine*, en master de biologie intégrative. « J’ai l’impression que les personnes qui portent le voile sont régulièrement persécutées », s’attriste une amie, restée anonyme. « On a des remontées d’étudiants qui se sentent stigmatisés », appuie Elisa Mangeolle, la porte-parole de la Fage. En souhaitant « légiférer sur la façon dont les femmes doivent se vêtir », le ministre de l’Intérieur « fait une erreur car ce n’est pas comme ça qu’est écrite la laïcité dans la loi ».
Pourtant, Souadou l’assure : elle n’a jamais eu de réflexion sur le port de son voile à l’université. « Peut-être parce que j’ai rencontré des gens qui n’étaient pas intéressés par ça », se félicite-t-elle. Vincent Thomas, président de l’université de Bourgogne et référent laïcité de France Universités, balaie lui aussi le débat d’un revers de main. « Nous n’avons recensé aucun problème majeur lié au port du voile en 2024. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de difficultés, mais qu’elles ont été résolues directement par le référent laïcité de l’université concernée », en général via un rappel à la loi et « le dialogue ».
De quelles « difficultés » parle-t-on ?
Ces « difficultés » justement, quelles peuvent-elles être ? « Cela peut être le port du voile intégral, qui est interdit », mais aucun signalement n’a été fait dans les universités. A l’université de Bourgogne, « le dernier problème sérieux date de l’année 2016-2017, une étudiante avait refusé de dégager ses oreilles de son voile » alors que le surveillant voulait s’assurer qu’elle ne trichait pas au moyen d’une oreillette. Contrainte de passer un rattrapage, l’étudiante avait à nouveau refusé de dégager ses oreilles, et avait été exclue un an de l’université. Le voile est aussi généralement interdit pour certains travaux pratiques, par mesure de sécurité.
Notre dossier sur le port du voile
Vincent Thomas rappelle toutefois que si la liberté de porter le voile s’applique aux étudiantes, « les Ater [attachées temporaires à la recherche, de jeunes enseignants parfois encore en thèse], en tant qu’agent public sous contrat avec l’Etat, ne peuvent pas manifester leur appartenance à une religion ». Mais pour lui, le constat est clair : « A part ces cas marginaux, le port du voile n’est pas un problème à l’université. »