France

L’Affaire du siècle : Marie, sinistrée climatique forcée d’abandonner son studio en péril, attaque à l’Etat

«On ne nous a pas écoutés. » Un peu comme une litanie, ce silence assourdissant est ce qu’ils évoquent tous en premier quand ils racontent leur histoire. Mohammed, Marie, Jérôme, Jean-Jacques, Racha… Au total, ils sont onze à avoir accepté de se porter co-requérants du nouveau recours contre l’Etat porté par les trois ONG de l’Affaire du siècle (Oxfam France, Notre Affaire à Tous et Greenpeace), et dont la première étape sera lancée cette semaine.

Cette fois-ci, pas de pétition, mais en guise de hors-d’œuvre, un simple courrier adressé au Premier ministre. « Dans cette lettre, nous demandons au gouvernement de réviser le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc 3), et d’adopter tout un ensemble de mesures destinées à assurer l’adaptation de la France au changement climatique », détaille Morgane Fouillen, avocate au barreau de Paris, qui a travaillé sur ce nouveau recours.

L’absence d’objectifs « contraignants et concrets »

Publié en mars dernier, le Pnacc 3 a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pas assez ambitieux selon de nombreuses ONG, il lui est surtout reproché une absence criante « d’objectifs contraignants et concrets » qui permettraient d’enclencher de véritables transformations. « Que ce soit dans le droit français, européen ou même international, l’Etat est tenu à une obligation générale d’adaptation et de planification. Or, dans ce plan national, seules 48 mesures sur les 300 annoncées ont été budgétées. Ce qui n’est pas bon signe », ajoute l’avocate.

En cas de réponse négative de la part du Premier ministre à leur courrier – « ce à quoi nous devons nous attendre », présage Morgane Fouillen -, un dossier de 162 pages sera porté directement devant le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative française, accompagné des témoignages de Mohammed, Marie et des neuf autres co-requérants. Et dont une partie sera consacrée aux territoires ultramarins, dont les spécificités sont bien souvent les grandes oubliées des politiques climatiques.

« Il s’agira d’un recours pour excès de pouvoir, précise l’avocate, dont le but est surtout d’obliger l’Etat à débloquer des moyens financiers pour mettre en œuvre de véritables transformations en prenant en compte tous les types de scénarios possibles, du + 1,5 °C au + 4 °C. Et en prenant en compte les vulnérabilités spécifiques aux populations et aux territoires. »

Les plus précaires en première ligne

En clair, les trois ONG de l’Affaire du siècle reprochent à l’Etat français de ne pas avoir suffisamment anticipé les effets du changement climatique sur les populations. Et de creuser, de fait, les inégalités sociales. « On sait que ce sont toujours les plus précaires qui sont frappés en premier », rappelle Cléo Moreno, coordinatrice juridique pour l’Affaire du siècle.

En lieu et place des « plus précaires », se tiennent, cette fois, aux côtés des trois organisations environnementales, onze témoins du pire de ce qu’a à offrir le changement climatique, aujourd’hui et pour les années à venir. Bouilloire thermique à cause de la canicule, maisons bancales en péril en raison du phénomène de retrait-gonflement des argiles, insalubrité liée à un accès à l’eau restreint, pertes agricoles… A travers leur participation en tant que co-requérant, chacun d’entre eux dénonce aussi l’absence de prise en charge et d’accompagnement de l’Etat, face au casse-tête des assurances, qui, de plus en plus, choisissent de se désengager.

« Je n’ai pas compris ce qu’il s’était passé »

Désormais co-requérante dans l’Affaire du siècle, Marie Le Mélédo a, elle, vu mourir le projet d’une vie en l’espace de deux ans seulement. Il y a presque sept ans, cette ancienne architecte devenue experte en agroécologie décide d’investir ses économies dans un studio aux Lilas, en Seine-Saint-Denis. En août 2020, après deux ans de travaux, Marie part en vacances le cœur léger. Son appartement est enfin prêt. Mais à son retour, deux semaines plus tard, c’est la douche froide. « Quand je suis rentrée, je n’ai pas tout de suite compris ce qu’il s’était passé », se souvient-elle. La porte et les fenêtres de son studio sont coincées, et trois énormes fissures balafrent la façade du bâtiment.

Les fondations de l'appartement de Marie sont constituées d'un sol argileux très sensible aux variations de chaleurs. Ici, l'entrée du studio, en août 2020.
Les fondations de l’appartement de Marie sont constituées d’un sol argileux très sensible aux variations de chaleurs. Ici, l’entrée du studio, en août 2020.  - Marie Le Mélédo

En cause : les épisodes de sécheresse qui s’enchaînent, cette année-là, à un rythme effréné, et ont fait se rétracter le sol argileux qui soutient la bâtisse, la rendant instable.

Nos articles sur l’Affaire du siècle

Deux semaines plus tard, le bâtiment dans lequel se trouve l’appartement de Marie est placé sous arrêté de péril ordinaire par la mairie des Lilas. Et la commune est, en parallèle, reconnue en état de catastrophe naturelle pour le mois d’août 2020.

Aujourd’hui, après cinq ans de combat, Marie attend toujours de toucher les 400.000 euros d’indemnités qui lui ont été accordés pour retaper son studio. Nous sommes allées la rencontrer aux Lilas, dans cet appartement soutenu, désormais, par des étais. Notre reportage vidéo est à retrouver en haut de cet article (rechargez la plage pour le regarder depuis le début).