France

La Réunion : Quarante-sept « enfants de la Creuse » retrouvent leur terre natale

Ils ont retrouvé leurs racines. « Revoir mon île, c’est formidable »… Une cinquantaine de personnes, envoyées de force par les services sociaux en métropole pour repeupler des départements touchés par l’exode rural comme la Creuse, ont débarqué vendredi à La Réunion qu’elles ont quittée enfants. Certaines reviennent pour la première fois.

On les appelle les « Enfants de la Creuse » : 2.000 enfants réunionnais retirés à leurs parents et transférés de force vers l’hexagone, à 10.000 km, principalement dans la Creuse, entre 1962 et 1984, selon une opération du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom) et un programme mis en place par Michel Debré, ministre de Charles de Gaulle et député de La Réunion. Cette affaire de migration de mineurs se fait de plus en plus connaître dans l’Hexagone.

« Il y a encore beaucoup trop d’émotion »

Les parents étaient convaincus que leurs enfants partaient pour un avenir meilleur et qu’ils reviendraient régulièrement à La Réunion. En réalité, la majorité d’entre eux ne sont jamais revenus sur leur île natale et n’ont jamais pu revoir leurs parents.

« Revoir mon île c’est formidable », confie avec émotion Daisy Jamain, une sexagénaire, parmi les 47 personnes qui font ce voyage d’au moins deux semaines organisé par la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d’Outre-mer.

Certains remettent un pied pour la première fois dans leur île natale. Ceux-là ont du mal à répondre aux interviews. « Il y a encore beaucoup trop d’émotion », dit simplement l’un d’eux. Daisy Jamain a été transférée par les services sociaux à l’âge de 9 ans, au milieu des années 1960. Orpheline, elle est partie avec deux de ses sœurs. Elles sont « arrivées là-bas (en métropole, N.D.L.R.) dans le froid avec (leurs) petites robes d’été », se souvient Daisy avec émotion.

Séparée de ses deux sœurs dès son arrivée, elle ne retrouvera l’une d’elles que 56 ans plus tard. Elles ont depuis appris à se connaître et sont revenues ensemble sur l’île de l’Océan indien. Daisy Jamain dit être épanouie et ne pas avoir de rancœur. Elle attend tout de même des excuses officielles de la part de l’État pour « avoir fait souffrir autant d’enfants innocents ».

Des sévices dans les familles d’accueil

Victimes de sévices et exploités dans leur famille d’accueil, le destin de certains enfants a souvent été douloureux. C’est le cas de Jacques Dalleau, 71 ans. Enlevé à son père en 1965, à 14 ans, il ne le reverra jamais. « J’ai travaillé comme un larbin », placé dans une ferme de la Creuse, témoigne-t-il, disant avoir été « exploité et maltraité ». Il a déjà eu l’occasion de revenir plusieurs fois à La Réunion. « La reconstruction reste difficile » dit-il, même s’il estime que « le pire est derrière [lui] ».

Marlène Ouledy, 53 ans, fait aussi partie de ces enfants qui ont été maltraités par leur famille d’accueil. Enlevée en 1971 à l’âge de 9 mois des bras de ses parents, elle estime qu’on « ne peut pas transplanter un enfant comme ça. On le fait avec une plante ou une fleur mais pas avec un être humain ». Elle dénonce les violences infligées par ses parents adoptifs : « j’étais élevée à coups de poing, ils me faisaient manger la tay (« excrément » en créole réunionnais, N.D.L.R.) et il n’y avait aucune surveillance de la part des assistantes sociales », témoigne-t-elle.

A 25 ans, elle apprend que ses parents biologiques la recherchent. C’est un courrier de la Direction départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) qui lui permet de retrouver leur trace. Marlène Ouledy revient à La Réunion en 1999. Elle y retrouve sa mère, ses frères et sœurs mais pas son père, décédé en 1983. « Je demande réparation et que notre voix soit portée à l’Élysée. Il est grand temps. Bientôt l’un après l’autre nous allons disparaître », lance-t-elle.

« Une réparation mémorielle »

L’Assemblée nationale a adopté en 2014 une résolution proposée par Ericka Bareigts (députée socialiste de La Réunion), reconnaissant la « responsabilité morale » de l’État français dans ces exils forcés.

Les enfants de la Creuse demandent aussi « une réparation mémorielle ». « Il faudrait un lieu de mémoire dans la Creuse et que notre histoire soit étudiée dans les manuels scolaires », note Valérie Andanson porte-parole de la fédération des enfants déracinés des DROM.