France

La réforme des retraites, du « pain béni » pour Marine Le Pen ?

Elle a regardé ses adversaires s’écharper dans l’hémicycle avec un air détaché. Marine Le Pen s’est tenue à distance de la bataille entre la majorité et les élus de la Nupes sur la réforme des retraites. Calme, les bras croisés, arborant un léger sourire, l’ex-présidente du Rassemblement national s’imaginait peut-être déjà récolter les fruits de ces échanges chaotiques. Alors que le projet de loi du gouvernement devrait finir cette semaine son difficile parcours au Parlement, une crainte est partagée par la majorité et les élus d’opposition : voir le RN sortir vainqueur de la séquence. Une étape ciblée par le parti dans sa stratégie de conquête du pouvoir.

Depuis l’ouverture des débats, le Rassemblement national s’est montré plutôt timide à l’Assemblée nationale, comme dans les médias, pour s’opposer au projet de loi du gouvernement. Ses 88 élus n’ont déposé que deux cents amendements (deux fois moins que le parti présidentiel) pour tenter de modifier le texte, bien loin des milliers défendus par la Nupes. Malgré cet effacement dans l’hémicycle, Marine Le Pen buvait du petit-lait, jeudi dernier, lors d’un entretien sur France Inter.

« Même si cette réforme des retraites est votée – ce que vraiment je ne souhaite pas et ce dont je ne suis pas convaincue – , elle sera défaite lorsque je serai élue », disait-elle. L’ex-patronne du RN se projette déjà vers la présidentielle 2027, avec un argument de plus dans sa besace. « C’est un sujet ultra-clivant. Une large majorité des Français est contre la réforme. La retraite à 64 ans sera un argument de poids pour la suite, notamment pour la bataille de 2027 », confirme Thomas Ménagé, député RN du Loiret.

« Marine Le Pen joue la bonne mère de famille »

Une perspective qui désespère plusieurs élus de la majorité. « On est tous en train de se demander comment faire pour que ce ne soit pas Le Pen au coup d’après. Notre démocratie est malade ! », s’étrangle un député macroniste, dépité par la tenue des débats à l’Assemblée. « On est sur une pente glissante, et chaque année, le RN crante un peu plus. Mais qu’est-ce qui l’accélère ? Nous qui voulons sauver le système par répartition ou les mecs de la Nupes qui nous traitent de monstres et de salauds dans l’hémicycle ? »

Les membres de la majorité présidentielle préfèrent bien entendu cibler l’obstruction parlementaire de La France insoumise et les débats houleux des deux semaines d’examen, plutôt que la large opposition des Français au texte. « Chaque jour, on avait l’impression de toucher le fond de la piscine, mais en fait non, on allait plus loin encore, soupire un élu du MoDem. C’est du pain béni pour Marine Le Pen, qui pendant ce temps-là, engrange dans l’opinion en jouant la bonne mère de famille… »

« Les catégories populaires n’oublieront pas »

Cette poursuite de la stratégie de « normalisation » du RN, parfois poussée jusqu’à la caricature, semble avoir payé, à en croire plusieurs sondages. Marine Le Pen serait la personnalité politique incarnant le mieux l’opposition à la réforme, selon une enquête de l’Ifop publiée fin février. Et ce, malgré l’absence du RN dans les manifestations et les errements idéologiques du parti sur la retraite à 60 ans ces dernières années. « Ce ne sont pas des opposants, ils n’ont rien fait à l’Assemblée, ils n’ont pas manifesté, ils s’opposent au blocage du pays, s’agace Antoine Léaument, député LFI de l’Essonne. Nous sommes les seuls à incarner la colère dans le pays. Le seul truc qui profite au RN, c’est l’attitude des macronistes, qui mettent en avant, une fois encore, leur diable de confort. »

La perspective d’un « passage en force » à l’Assemblée nationale, ce jeudi, par l’intermédiaire d’un 49.3, est d’autant plus redoutée par les parlementaires. « La réforme des retraites, c’est la crispation ultime. Si on ajoute un 49.3, ça laissera une trace très forte… », confirme une élue Horizons, proche d’Edouard Philippe. « Les choix stratégiques du gouvernement, le bordel de la Nupes, tout ça bénéficie à Marine Le Pen. Les catégories populaires n’oublieront pas cette réforme si elle est adoptée. Et cette colère profitera in fine au Rassemblement national », ajoute un député Les Républicains opposé au texte. Un élu Renaissance, en première ligne sur le texte, ajoute, las : « On est au bord du gouffre, et chacun se renvoie la responsabilité, mais à la fin, si Marine Le Pen l’emporte, on n’aura que nos yeux pour pleurer… »