France

La prochaine fois que vous poserez un arrêt maladie, votre entreprise risque de toquer chez vous

Attention à bien choisir le moment où vous sortez faire vos courses quand vous êtes en arrêt. Selon une enquête AXA France, l’absentéisme des salariés du privé a connu une augmentation de 41 % entre 2019 et 2024. Face à cette hausse, certains employeurs resserrent la vis. Désormais, ils sont de plus en plus à organiser des contre-visites de contrôle avec un commissaire de justice, histoire de vérifier que les malades réguliers sont bien à domicile : « Depuis cinq ans, on reçoit chaque année environ 10 % de sollicitations supplémentaires en la matière. Mais c’est une pratique assez récente », relève Olivier Garand, directeur du pôle accidents du travail et maladies professionnelles du cabinet de conseil RH Spartes.

Une façon de combattre les arrêts maladies « de complaisance » (livrés par le médecin de manière abusive, sans justifications médicales réelle) et de ne pas payer le complètement de salaire du salarié arrêté. Depuis le 1er avril 2025, la Sécurité sociale a diminué le montant des indemnités versées aux salariés en arrêt maladie. Via sa plateforme « contrevisiteenligne.com », le cabinet met en relation les employeurs et des commissaires de justice afin de mener ces visites.

Le Code du travail autorisait déjà l’employeur à demander des contre-visites médicales pour vérifier le bien-fondé d’un arrêt maladie, mais deux obstacles se présentaient : « D’abord, les médecins contrôleurs concluaient rarement à une absence injustifiée. Ensuite, ils sont de moins en moins nombreux à accepter de faire ces contre-visites », relate Olivier Garand. Maintenant que les employeurs peuvent solliciter un commissaire de justice, les barrières sont écartées.

Quand le doute appelle la visite

Actuellement, il existe trois régimes de présence obligatoire au domicile en cas d’arrêt de travail. Le plus courant est celui où le salarié est autorisé à sortir, à condition d’être présent à son domicile entre 9 heures et 11 heures, puis de 14 heures à 16 heures. Le deuxième, plus strict et plus rare, impose une présence à domicile 24h/24. Enfin, le troisième permet une sortie libre, sans restriction et s’applique si le médecin estime que sortir facilite la récupération. Il concerne notamment les personnes sujettes aux burn-out et à la dépression. Attention, si le collaborateur ne prévient pas son employeur qu’il s’inscrit dans ce dernier régime, il revient automatiquement au premier régime d’indemnisation (et doit rester chez lui quatre heures par jour de travail) .

D’après les chiffres du cabinet de conseil Sparte, le collaborateur est absent au cours de 70 % de ces contre-visites administratives, qui ont donc lieu entre 9 et 11 heures ou de 14 à 16 heures. Cependant, Olivier Garand reste mesuré. Ces visites visent les profils particulièrement absents : « Il faut prendre avec des pincettes ce chiffre de 70 %. Les contrôles ne sont pas systématiques, mais ciblés sur les profils qui présentent de sérieux doutes. Ce n’est pas une solution de management durable ! »

Derrière un tel dispositif, l’idée n’est pas de punir son collaborateur, mais de faire un rappel collectif des règles. Pour le représentant de Spartes, ce système ne peut pas se faire « sans discussion avec les représentants du personnel », qui indique par ailleurs que « ce sont bien souvent les entreprises les plus avancées sur les conditions de travail qui recourent à ce genre de vérifications ».

Quand la confiance part en arrêt

Absentéisme d’un côté, contrôle de l’autre : ce climat témoigne d’un manque de confiance criant entre salariés et employeurs. Un baromètre Actual paru en février affichait une baisse globale de la confiance des travailleurs en l’avenir. De toute évidence, la crise Covid est en partie responsable de cette atmosphère délétère. Pour Jean Pralong, psychologue et professeur en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie, c’en est certainement le point de départ : « les travailleurs ont complètement remis en cause la relation à l’entreprise à ce moment-là ». Une lecture que partage Olivier Garand, pour qui « il y a eu une forme de banalisation de l’absence », entraînée par le télétravail.

Pour la CGT, ce phénomène s’inscrit dans un contexte abusif de chasse à la fraude sociale : « C’est un phénomène extrêmement minoritaire », déclare Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-Spectacle, pour qui cette montée de l’absentéisme est une conséquence de conditions de travail qui se sont particulièrement durcies. « On est l’un des pays les plus mal classés en Europe sur les morts au travail », déclare le représentant du syndicat. Selon les données d’Eurostat, la France est le pays où l’on meurt le plus au travail d’Europe, avec plus de 8.000 décès depuis 2009.

Des milliers d’offres d’emploi en un clic

L’émergence de la notion de bien-être au travail et la considération des maladies psychologiques n’ont pas joué en faveur de la confiance globale : « Certains salariés sont arrêtés, non pas pour des raisons physiques, mais psychologiques. Côté employeur, ce sont des situations que l’on va facilement soupçonner d’être “de complaisance” », remarque Jean Pralong. Pourtant, faute à un contexte géopolitique délicat et un marché du travail incertain, « le stress est partout, pas seulement au travail, mais dans la vie quotidienne », note le représentant du cabinet de conseil Spartes. In fine, ces contrôles à domicile n’en sont qu’un énième reflet.