« La petite maison de la prairie » est-elle une série « woke » comme l’affirme Melissa Gilbert ?
Les Ingalls sont de retour ! Netflix prépare un reboot de La petite maison de la prairie, série culte créée par Michael Landon d’après les livres de Laura Ingalls Wilder et lancée le 30 mars 1974 sur NBC. « Netflix, si vous faites de La petite maison dans la prairie une série “woke”, je me donnerai pour mission de ruiner votre projet », a d’ores et déjà menacé sur X Megyn Kelly, ex-star de Fox News débarquée de NBC pour avoir soutenu en direct le droit de faire se grimer le visage en noir (le tristement célèbre « blackface »). Elle est devenue l’une des podcasteuses les plus écoutées sur Spotify avec son émission The Megyn Kelly Show.
« Regardez à nouveau la série originale », a rétorqué Melissa Gilbert, l’interprète de Laura Ingalls et soutien démocrate sur Threads à la journaliste qui avait délivré un discours enflammé lors d’une soirée pré-investiture de Donald Trump. Et l’actrice d’argumenter : « La télévision ne peut pas être plus “woke” que nous ne l’avons été. Nous avons abordé le racisme, la toxicomanie, le nativisme, l’antisémitisme, la misogynie, le viol, la violence conjugale et tous les autres sujets “woke” auxquels vous pouvez penser. »
Mais peut-on vraiment qualifier de « woke » La petite maison dans la prairie, série qui prodiguait les leçons de morales hebdomadaires d’une famille nucléaire, hétéronormée et profondément pieuse, s’installant à Walnut Grove, petite bourgade pastorale du Minnesota, au temps des pionniers ?
Une série qui aborde des sujets difficiles
Comme le souligne Melissa Gilbert, cette série western n’a jamais reculé devant les sujets difficiles pas franchement associés à un public familial : la perte d’un enfant (celle du seul fils biologique de la famille Ingalls, celle de la petite fille d’Isaïe Edwards, l’ami de Charles Ingalls, campé par Victor French), l’alcoolisme (d’Isaïe Edwards), la toxicomanie (l’addiction à la morphine d’Albert, incarné par Matthew Labyorteaux, le fils adoptif de Charles et Caroline Ingalls dans la saison 9) ou encore le viol (dans les épisodes « Sylvia partie I » et « Sylvia partie II », une jeune femme se fait violer et se retrouve enceinte. Tout le monde se détourne d’elle, sauf Albert, qui est amoureux d’elle). La petite maison dans la prairie est donc en avance sur son temps, même avec une bonne louche de bons sentiments.
Une série qui aborde le racisme
Les huit tomes autobiographiques de Laura Ingalls Wilder ont été retirés de la liste de recommandations de lecture de l’American Library Association (ALA). D’une part, parce qu’ils véhiculent des propos racistes (« Un bon Indien est un Indien mort », martèle Caroline, la mère de Laura Ingalls, dans ces ouvrages). « Sauf que Laura rejette le modèle de sa mère », tempère l’autrice et journaliste Doan Bui dans les colonnes du Nouvel Observateur. « Avec le procès de Laura Ingalls, c’est que j’ai l’impression que ses détracteurs sont à côté de la plaque. Comme s’ils l’avaient mal lue », estime-t-elle. D’autre part, parce qu’ils présentent uniquement le point de vue des pionniers blancs au détriment des autochtones d’Amérique, occultant les massacres dont ils sont victimes et la spoliation de leurs terres.
Michael Landon va trahir l’œuvre de Laura Ingalls. Dans la série, Caroline et Charles Ingalls ne sont pas racistes, bien au contraire. L’épisode en deux parties de la saison 5 « Le voyage » met en scène un jeune garçon noir et aveugle qui ne comprend pas pourquoi il n’est pas accepté comme les autres enfants. Dans l’épisode de la saison 3 intitulé « La sagesse de Salomon », Charles refuse d’acheter un petit garçon noir et le prend sous son aile. « Préfères-tu être noir et vivre jusqu’à 100 ans, ou blanc et vivre jusqu’à 50 ans ? », lui demande le petit garçon à la lueur des bougies dans une scène finale pas si mièvre que ça. Dans « Une éternité » encore, Charles et Isaïe sont amenés à travailler avec un homme noir – et le traite comme d’égal à égal – et un bigot raciste. A la fin de l’épisode, ce dernier rejette la discrimination et les préjugés que les autres imposent à son collègue noir.
Certes, le casting de La petite maison dans la prairie est majoritairement blanc mais les personnages récurrents noirs sont positifs : Hester-Sue Terhune, joué par Ketty Lester, apparaît dans la saison 5 de la série en tant qu’institutrice, Joe Kagan, comme un fermier noir de la région. La série mentionne également le Dr George A. Tann, un médecin noir de la réserve des Osages, qui a sauvé la vie de la famille Ingalls lorsqu’ils ont tous été atteints de fièvre et de paludisme dans la prairie. La série apparaît ainsi comme le produit de son époque, les années 1970 imprégnées par la lutte pour les droits civiques.
Une série qui occulte la question des autochtones d’Amérique
Seuls treize des 183 épisodes télévisés contiennent une quelconque référence aux autochtones d’Amérique, et quatre seulement sont dédiés à des personnages autochtones. Ces derniers sont interprétés par des personnes non autochtones.
Dans le premier épisode « L’installation », la famille Ingalls s’installe à Walnut Grove, dans le Minnesota, où elle restera pendant la majeure partie de l’action de la série. La série raconte plutôt le quotidien d’une petite bourgade au XIXe siècle plutôt que celle des pionniers de l’Ouest américain. La série de Michael Landon occulte ainsi les nombreux actes violents auxquels s’adonnent pourtant les colons de l’Ouest américain du XIXe siècle. Seul l’épisode « Le petit indien » met en scène la violence et le racisme subis par un petit garçon issu de l’union entre une femme blanche et un autochtone.
La log-cabin ou la petite maison en bois dans laquelle les Ingalls s’installent est un motif récurrent de la culture populaire américaine. Ce motif participe à « minimiser l’impact négatif des transformations des paysages sauvages sur l’écosystème des sites, et fait passer historiquement au second plan les injustices faites aux Amérindiens », résume Sophie Suma, docteure en arts visuels dans son article Que nous dit la maison de « La petite maison dans la prairie » ? paru dans la revue scientifique RadaЯ.
Une fois encore, la série est le reflet de l’époque qui l’a produite et comporte des éléments négatifs propres aux années 1970 sur la façon dont les natifs américains étaient dépeints. « La série illustre la position gouvernementale des années 1970 d’une Amérique encore très patriarcale et conservatrice, mais surtout l’absence, ou l’approximation de la représentation de la culture autochtone et de leurs technologies à l’écran », analyse Sophie Suma.
Une héroïne badass
Si La petite maison dans la prairie n’a jamais évoqué la question de l’homosexualité ou de la transidentité, son héroïne peut être vue comme une féministe avant l’heure. Ce personnage féminin n’est pas cantonné à des tâches dites féminines.
Laura Ingalls, contrairement à son aînée, la sage Marie, déteste faire la cuisine, coudre, raccommoder ou mettre sa capeline. Laura est considérée comme le garçon manqué des filles Ingalls.
Une héroïne badass ? « Laura est à l’image de la série, à la fois traditionnelle et moderne. Laura ne remet jamais en question les conseils de son père, patriarcat des années 1970 oblige, mais dans ses actes, elle se libère des archétypes et des assignations de genre, elle crache et préfère aller à la pêche que de jouer à la poupée », explique Benoit Lagane à l’antenne de France Inter.
Sous la pieuse saga familiale et paternaliste au temps de la conquête de l’Ouest, se révèle le portrait de l’Amérique des années 1970, tiraillée entre conservatisme et progressisme. « Entre la scierie, le magasin général et l’église, à la fois école et temple, Walnut Grove est une communauté inclusive où les égoïsmes de chacun finissent toujours par être sacrifiés sur l’autel du bien commun », conclut Benoit Lagane. De quoi la regarder d’un autre œil lors d’une énième rediffusion !