« La Mesias » : Une pépite pop sur les traumas d’enfance et les dérives sectaires
Début des années 2010, Enric, cadreur de cinéma, boit un verre au bar de l’hôtel où l’équipe de tournage est réunie. Son regard se pose sur la télévision où est évoqué le phénomène viral du moment, « un mélange des Spice Girls, de Jordy, de Marilyn Manson et S Club 7 », selon un chroniqueur. « Et des Pussycat Dolls », ajoute sa consœur. Apparaît alors un clip d’un kitsch ultime où cinq jeunes chanteuses, en robe d’une mode d’un autre temps, chantent des paroles à la gloire de la Vierge Marie. Enric est sous le choc. Pourquoi ?
C’est le point de départ on ne peut plus intrigant de la série espagnole La Mesias (« Le Messie ») mise en ligne mi-novembre sur le site d’Arte. Après deux épisodes un brin tortueux qui ne cessent de piquer la curiosité, le mystère se dissipe peu à peu. On replonge dans les années 1980, pour découvrir l’enfance d’Enric et de sa sœur Ines, qu’élève seule leur mère Montserrat, et dans les années 1990 où ils se retrouvent coupés du monde dans une maison isolée.
« Raconter le résultat d’un trauma »
Les trois temporalités s’entrecroisent régulièrement pour nous faire comprendre les traumatismes de la fratrie. La Mesias parle de dysfonctionnement familial, de maltraitance et d’emprise sectaire. Les sept épisodes, d’une durée d’une heure et dix minutes environ chacun, sont denses mais captivants car il est impossible d’anticiper quoi que ce soit.
Au scénario et derrière la caméra, le couple Javier Ambrossi et Javier Calvo, alias « los Javis », à qui l’on doit également l’excellente série Veneno, consacrée à l’icône trans du même nom, visible sur Prime Video. « Raconter le résultat d’un trauma, mais aussi les germes de ce trauma, nous a aidés à bâtir l’histoire. Nous voulions, par ailleurs, imprimer une narration différente de ce que le public a l’habitude de regarder », confirme Calvo dans le dossier de presse.
Une série sur la foi et les croyances
La série interroge surtout la foi et, plus largement, les croyances. Elle annonce la couleur dès le carton introductif. Celui-ci relate l’histoire de bergers qui, en 880, dans le massif de Montserrat (qui donne donc son nom au personnage de la mère dans La Mesias) ont suivi une lumière céleste jusqu’au fond d’une grotte où ils ont découvert l’effigie d’une vierge, la Moreneta. Et ajoute qu’en 1979, des lumières sont apparues à nouveau dans ces alentours, ce que certaines personnes considèrent comme une apparition d’ovnis…
La dimension pop est très présente, à commencer par le groupe Stella Maris, inspiré des Flos Mariae. Cette formation féminine a eu son quart d’heure de célébrité sur Internet il y a une dizaine d’années. Avec notamment 2 millions de visionnages pour le clip de ¡Viva el Papa ! (« Vive le Pape ! »). Précisons que s’il est beaucoup question d’une interprétation dévoyée du catholicisme, la série ne tourne pas en dérision et n’est pas non plus hostile envers la religion.
Deux prix à Séries Mania
Sa trame se concentre sur des destins brisés, empêchés et/ou émancipés et réussit brillamment à aborder le sujet des relations familiales avec ambivalence. La Mesias est un kaléidoscope de drame, de fantastique, de scènes cauchemardesques et de respirations bienvenues. Son univers esthétique, à commencer par son non-générique composé de surimpressions fugaces de dessins à l’écran ou les scènes du passé tournées en 16 millimètres, comme au cinéma, a lui-même un grand pouvoir hypnotique.
Le jury de Séries Mania 2024 ne s’y est pas trompé : La Mesias est repartie du festival lillois avec le trophée de la meilleure réalisation et le Prix des étudiants.