France

La majorité brandit l’article 40 pour éviter un vote sur les retraites

A l’Assemblée nationale,

Elle colle à l’exécutif comme le sparadrap du capitaine Haddock. Deux mois après son adoption par l’utilisation du 49.3, la réforme des retraites continue de susciter la controverse à l’Assemblée nationale. Une proposition de loi visant à abroger le recul de l’âge de départ à 64 ans, déposée par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), doit en effet être débattue dans l’Hémicycle le 8 juin prochain, lors de sa niche parlementaire. Un dernier espoir pour les opposants au texte et un risque politique majeur pour la majorité. Or, les élus macronistes ont dégainé un nouvel élément de la Constitution : l’article 40, qui permettrait au camp présidentiel d’éviter un vote et de tourner définitivement la page de cette séquence difficile.

L’article 40, kézaco ?

Lors d’une conférence de presse organisée ce mardi midi à l’Assemblée, les responsables de la majorité présidentielle ont donc brandi la Constitution pour torpiller le texte Liot avant même son arrivée en séance. « Cessons les mensonges et les fables […] Il n’y a aucune ambiguïté sur l’irrecevabilité de cette proposition de loi, qui est contraire à l’article 40 de la Constitution », lance Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance, aux côtés de ses homologues Laurent Marcangeli (Horizons) et Jean-Paul Mattei (Modem). Cet article précise que les « propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

En clair, les députés et les sénateurs n’ont pas la capacité de dégrader les finances publiques. C’est bien ce que reprochent les macronistes au texte de leurs collègues. En revenant à l’âge légal de départ de 64 à 62 ans, « il crée une charge supplémentaire et non des moindres, pour un texte au coût global de 22 milliards d’euros. Au-delà du grotesque, nous défendons donc nos institutions », argumente l’élue des Yvelines. « Ce texte n’ira jamais au bout. On est en train de raconter des bobards aux Français », abonde Laurent Marcangeli, dénonçant un « petit coup politique » et « une attitude populiste ».

Que va-t-il se passer ?

Les élus du groupe Liot ont balayé ce mardi ces accusations, rappelant que leur texte prévoyait une grande conférence sociale pour trouver des nouvelles mesures de financement. « Vouloir empêcher l’Assemblée de se prononcer sur ce texte constituerait une dérive autoritaire inacceptable », a prévenu le groupe d’élus indépendants, convaincu d’obtenir une majorité le 8 juin.

Ce nouvel épisode de la bataille sur les retraites promet déjà des rebondissements, d’autant que l’article 40 peut être activé à tout moment de la procédure législative. Ces dernières heures à l’Assemblée, nul n’était d’accord pour savoir à qui appartiendrait la décision finale. En cas de litiges, le bureau de l’Assemblée, sa plus haute instance, pourrait bien avoir le dernier mot. Celui-ci a déjà tranché en faveur de Liot au moment du dépôt du texte, conformément à l’usage de ne pas se montrer trop restrictif pour les initiatives parlementaires.

La majorité a-t-elle peur du vote ?

Dans l’opposition, on prétend que la majorité se trouve toutes les bonnes raisons pour éviter un vote. « Comme on dit dans les westerns, ils ont les foies. Imaginez bien la portée symbolique d’un premier vote de l’Assemblée qui déjugerait la décision imposée par la force d’un 49.3 », assure Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône. « Ce ne sont que les premières escarmouches, il y en aura d’autres pour empêcher de nouveau un vote sur ce texte », philosophe Charles de Courson, député Liot de la Marne.

En privé, dans la majorité, on reconnaît se creuser la tête depuis plusieurs semaines pour contrecarrer l’arrivée de cette petite bombe à l’Assemblée, deux jours après un nouvel appel à la mobilisation par les syndicats. Certains défendent l’idée d’obstruction parlementaire, d’autres préfèrent démystifier l’enjeu autour du scrutin. « C’est un bon coup politique, un coup marketing, mais il faut qu’on fasse comprendre que ça ne changera rien, souffle un cadre Renaissance. Le texte ne sera jamais appliqué ». Car la majorité LR du Sénat a fait savoir qu’elle ne voterait pas cette proposition de loi. Elle pourrait donc revenir à l’Assemblée selon la traditionnelle navette parlementaire. Et continuer d’empoisonner le début de quinquennat d’Emmanuel Macron.